Avec un appréciable arsenal d’enquêtes de terrain, de statistiques et de recherches de spécialistes, le sociologue C. Ben Ayed frappe au coeur du problème de l’école française : la mixité sociale. Ce sont les urbanistes qui, au lendemain de la seconde guerre mondiale, ont inventé ce concept : construire de grands ensembles où cohabiteraient différents milieux sociaux. Ce brassage effacerait les tensions entre classes et donnerait aux plus défavorisés la possibilité d’une élévation culturelle. Ce fut un échec, les conflits se multiplièrent, les moins démunis déménagèrent. On a alors prétendu, dans les discours politiques, implanter la mixité sociale dès l’école. Qu’est-elle donc ? Un idéal de coexistence entre les élèves de différents groupes sociaux, tous à égale considération, par souci de justice scolaire et de socialisation individuelle : le rêve de l’école unique...
On en est loin en France en 2015 : l’école de la République n’a jamais eu cet objectif. Au « peuple » l’école primaire, à l’élite bourgeoise très ségrégative le secondaire. On craignait les conséquences d’ « une éducation émancipatrice pour tous » sur le maintien de l’ordre moral. Mérite et élitisme allaient de pair, dons et talents ne pouvant fleurir que dans certains milieux socioculturels. Si les dominés étaient éclairés, le système de domination s’en verrait fragilisé.
Force est de constater en lisant cet essai, que de nombreux acteurs du système scolaire perpétuent cet état d’esprit. Il n’existe pas en France, à la différence d’autres pays européens, de politique éducative favorable à la mixité sociale, ni d’outils pour la mesurer. En dépit de la sectorisation, les ségrégations et les inégalités de scolarisation perdurent. En 2007, au lieu de favoriser la mixité sociale, la carte scolaire a induit un accroissement du nombre de dérogations et aggravé la ségrégation. Malgré quelques tentatives de « discrimination positive » favorisant la candidature d’élèves désavantagés — à Sciences Po ou dans les internats d’excellence—, la concurrence entre établissements reste rude et la composition sociale de leurs élèves varie peu.
En 2012, au vu de l’échec et dans un objectif électoraliste, on a assoupli cette carte scolaire : les dérogations se sont multipliées, peu favorables aux milieux populaires qui nourrissent, en conséquence, un sentiment de relégation. Les ségrégations scolaires ne viennent pas tant de la sectorisation, en fait, que de la prolifération des stratégies d’évitement et de la grande attractivité de l’enseignement privé toujours désectorisé.
En 2013, la “Loi de Refondation de l’Ecole” n’a rien modifié. Persistent la hiérarchisation des établissements et des filières ainsi que la diversité des offres d’enseignement selon les territoires. En outre, les collectivités locales ne peuvent seules favoriser la mixité sociale à l’école : l’État doit promulguer des lois.
L’enjeu, pour le sociologue, consisterait à supprimer les filières et leur hiérarchisation et à revaloriser les territoires à fortes inégalités sociales pour réduire les fragmentations scolaires entre zones populaires et quartiers plus aisés.
Car l’Éducation Nationale connaît ces processus de reproduction des inégalités et des ségrégations : pourtant le système scolaire français reste élitiste et inégalitaire, par indifférence ou par choix politique selon l’auteur. Le vieil adage « classes laborieuses, classes dangereuses » hante toujours les couloirs du ministère... L’école française renâcle à donner l’avantage aux plus démunis.
Si on ne s'en tenait pas à la recension objective on pourrait se demander s'il est également fondé, dans notre société individualiste de rechercher une même mixité sociale et un même enseignement du début à la fin du cursus scolaire.
• Choukri Ben Ayed. La mixité sociale à l'école. Tensions, enjeux, perspectives. Armand Colin, 2015, 223 pages.