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Un roman pour mieux connaître la Corée contemporaine. La romancière Eun Hee-kyung bâtit sa fiction autour des deux frères Jeong, Yeongjun l'aîné et Yeongku le cadet, originaires de la ville de K au bord de la mer de l'Ouest, loin de la capitale. À la mort de leur père, ils découvrent qu'ils possèdent encore la maison où ils sont nés, alors que, dans leur petite enfance, ils avaient dû la quitter suite à la ruine de l'entreprise familiale. Pour respecter les dernières volontés de leur père Jeonguk, ils devraient maintenant vendre cette maison au profit d'une femme émigrée au Canada. Cette Jeong Myeongseon dont ils n'ont jamais entendu parler, porte le même nom qu'une cousine avec qui Yeongjun avait partagé quelques émois dans sa jeunesse, et qui s'était suicidée. Il y a donc du secret dans l'air.
Ce point de départ de l'intrigue nourrit plusieurs thématiques. Une saga familiale remontant loin dans le passé, l'histoire de la Corée, l'urbanisation d'un pays rural, entre tradition et modernité, la différence psychologique entre les frères, sans oublier la découverte des secrets de famille... Comme le lecteur occidental risquait de se perdre parmi les noms des personnages, l'éditeur a prévu une liste bienvenue qui permet de s'y retrouver dans les prénoms et l'arbre généalogique, et un index de termes coréens figure en appendice
Jeonguk avait fondé après la Guerre de Corée une entreprise du BTP qui joua un rôle dans le développement de la ville de K : ponts, routes asphaltées, etc. Ses fils ont suivi d'autres voies professionnelles. Yeongku est entré dans la fonction publique après une scolarité chaotique, et des fugues multiples. Yeongjun, le bon élève, est devenu réalisateur de cinéma : il tourne “Secrets” dont le scénario dramatique nous est moins révélé que ses relations avec les membres de l'équipe de tournage. Accaparé par son activité à Séoul, Yeongjun tarde à entreprendre, seul ou avec son frère, les démarches pour vendre le dernier bien que leur père avait réussi à conserver au temps de sa faillite. Avant que le mystère ne soit éclairci, nous apprenons quelques dessous de l'histoire familiale, la rivalité ancestrale des Jeong avec leurs voisins Choe, jusqu'à une aventure digne de Roméo et Juliette dont ne nous parviendront que de lointains échos.
Outre l'intérêt de ces affaires familiales, et peut-être plus encore, le roman d'Eun Hee-kyung vaut par la description par petites touches de l'opposition entre l'ancienne culture provinciale et rurale, et l'éclosion d'une civilisation urbaine sans cachet. Le roman s'articule d'ailleurs en parties aux noms tristes et nostalgiques, comme “Désenchantement” et “Evanescences”... Le temps où les élites s'occupaient de poésie lyrique et de musique traditionnelle a cédé la place à la course à la fortune et au pouvoir : dans cette compétition les Choe semblent beaucoup plus efficaces que les Jeong.
• EUN Hee-kyung. “Secrets”. Traduit du coréen par Kim Young-sook et Arnauld Le Brusq. Éditions Philippe Picquier, 2014, 270 pages.