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Une vieille légende coréenne raconte l'histoire d'une princesse, septième fille d'un couple royal ; elle doit aller au bout du monde« là où le soleil se couche », pour trouver et après bien des tribulations, rapporter « l'eau de la vie » qui sauvera ses parents et leurs sujets, tous affectés d'un mal mystérieux. Dans son périple elle croise « les nefs chargées des âmes avec leur karma, en route pour l'autre monde, le monde des morts ». Elle aussi septième fille d'un couple coréen, la narratrice a reçu le même nom que la princesse : Bari. Le roman se propose d'établir une sorte de parallèle entre les aventures de la princesse des contes et de la jeune fille d'aujourd'hui. D'autre part, la grand-mère, héritière du chamanisme, et Bari elle-même, ont souvent des visions, d'incroyables dons de voyance.

 

La première moitié du roman se passe en Corée du Nord ; le père de Bari travaille initialement comme cadre aux douanes dans un port près de la frontière russe, puis dans une ville à la frontière chinoise le long du fleuve Tumen. Quand la grande famine s'abat sur le pays dans les années 1990, la famille se trouve dispersée ; Bari voit sous ses yeux périr de froid et de faim sa sœur et sa grand-mère tandis que son père, à peine libéré d'un camp de rééducation, part à la recherche de sa femme et de ses autres filles. Chilsong, le chien qui l'accompagnait, est tué par des bêtes féroces, tandis que la forêt est en feu autour d'elle.

 

Passée en Chine pour fuir la famine, Bari est recueillie par Shang, une masseuse, et son mari Zhou, un acupuncteur. Le jeune couple ouvre bientôt à Dalian un salon de massage où Bari exerce avec succès : comme elle devine les maux des clients, ses massages des pieds sont plus efficaces. Mais le salon tombe aux mains de créanciers mafieux : Bari et Shang doivent s'embarquer clandestinement vers l'Europe et y travailler pour payer leurs dettes. L'expédition sera un supplice pour Bari et son amie. Sa grand-mère l'en avertit en songe :

« C'est un véritable enfer que tu vas traverser, rempli d'embûches, regorgeant d'esprits malins. Tes membres, ton corps tout entier courent le risque d'être déchirés. Mais ne t'engage jamais dans les chemins aux couleurs malsaines, jaunes ou verts, prends toujours le chemin blanc. Au terme de ce long voyage, tu ne seras plus la petite Bari, tu seras devenue une grande chamane. Chaque fois que tu seras en peine, je viendrai à ton aide, Chilsong te guidera jusqu'à moi. »

 

Au fond de la cale d'un cargo, coincées parmi les conteneurs, elles subissent effectivement les pires maux. Dans un quartier asiatique de Londres, Shang est forcée à se prostituer ; Bari devient aide-cuisinière puis de nouveau masseuse pour le compte d'un émigré vietnamien. Elle partage la vie des immigrés du monde entier, notamment des pakistanais. Elle épouse Ali, qui bien vite, après le Onze-Septembre, croit judicieux de partir pour tenter de sortir son frère Othman de l'enfer afghan. La police anglaise traque les clandestins ; le voisin nigérian de Bari est expulsé. Une riche cliente de Bari, Emily, est aussi une immigrée ; elle déprime depuis que son mari l'a quittée ; sa maîtresse, une jeune thaïe, finit par l'assassiner. Le malheur continue de s'abattre sur Bari qui n'a pas encore vingt ans quand elle perd accidentellement sa petite fille. Shang était censée la garder mais elle s'est enfuie comme la voleuse qu'elle était devenue. Peu après Shang, droguée, se suicidera. Bari, certes, retrouve à Londres son mari de retour du Pakistan mais c'est pour échapper de peu à l'attentat de l'été 2005. La morale que ce roman ne manquera pas d'inspirer à ses lecteurs c'est que l'émigration est une catastrophe : il n'y a pas la moindre « eau de la vie » à y trouver. Dans les derniers chapitres, les visions infernales, sanglantes et désespérées de Bari se multiplient au rythme des guerres et du terrorisme contemporain : son chien lui apparaît qui conclut : « C'est l'enfer que vous même avez créé ! »

 

Pour ce premier contact avec la littérature coréenne, ce roman paru en 2007 me laisse une impression mitigée. Dans sa première moitié le livre m'a beaucoup intéressé parce qu'il se déroule en Corée, dans le contexte difficile du règne tyrannique de Kim Il-sung. Par la suite, se retrouver dans le Londres de l'immigration asiatique est moins dépaysant, je pense à certains romans de Monica Ali, Hanif Kureishi, ou Salman Rushdie. Quant à l'intrigue de ce roman, le parallèle avec la princesse de la légende semble inachevé puisque Bari ne rentre pas en Corée. Ou alors pas tout de suite... C'est une fin ouverte.

 

• HWANG Sok-yong. « Princesse Bari ». Traduit par Choi Mikyung et Jean-Noël Juttet. Éditions Picquier, 2013, 250 pages. (L'édition coréenne de ce livre date de 2007 ; c'est alors le dernier roman traduit en français d'un auteur qui a publié depuis quatre autres titres.)

 

Tag(s) : #Littérature coréenne
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