Alors que l'actualité grecque s'invite ces temps-ci dans nos médias, je réalise que je n'ai pas lu un seul roman grec contemporain depuis des lustres. En toute urgence, je cherche et je tombe sur le second roman d'un auteur qui m'était totalement inconnu : Christos Choménidis.
Censé se passer à la fin de l'une des années 1990 ce roman se présente comme une aventure ayant pour cadre la marine grecque. Parmi les jeunes recrues en formation à la base militaire de l'île de l'Œuf, que l'auteur place à l'Est de la Crète, voici Marinos Fakidas, playboy et pianiste. Il a la particularité d'avoir pour beau-père l'amiral Léonidas Véziris, chef de l'État-major, et célèbre pour avoir affronté jadis la dictature des colonels. Le centre d'instruction de l'île de l'Œuf est commandé par le rude et inflexible capitaine de vaisseau Mathéos Cavallaris qu'accompagne l'insatiable Léna Popesco, ex-présentatrice de la télé roumaine. Cavallaris a pour admirateur un moine orthodoxe dénommé Mikhalis, dont la main gauche ne conserve que l'index, suite à une blessure datant de son service militaire. Tels sont les personnages principaux qui s'ébattent dans ce roman qui commence presque banalement, ironique et léger, avant de devenir burlesque, fou et tragique.
Pistonné par son beau-père, Marinos devient le pianiste personnel du capitaine de vaisseau. En fait Cavallaris a d'autres projets en tête que de disposer d'un pianiste. Il s'agit d'entraîner — avec des méthodes assez particulières — le millier de jeunes recrues pour attaquer l'ennemi turc... Non pas dans un futur incertain, mais avant la fin de l'année ! Ce projet fou, le marin Fakidas l'apprend par les confidences de Léna, à la suite de quoi son souci est d'être toujours “à la hauteur des circonstances” ; mais ça, c'est une autre affaire, par exemple quand Léna l'entraîne dans une discothèque.
L'auteur met en scène la folie d'un officier et ses conséquences. Plus généralement, il caricature l'Armée et l'Église orthodoxe. À la tête du monastère un vieux moine se fait théâtralement mais régulièrement donner les derniers sacrements en présence de Cavallaris et de ses officiers. L'Œuf du poulailler de la Vierge est un objet sacré, conservé dans la crypte depuis des siècles ; avec le drapeau blanc et bleu, il accompagnera les troupes quand elles débarqueront en Asie mineure. L'État-major va-t-il laisser faire ce fou de Cavallaris ? L'écriture ironique de Christos Choménidis multiplie les allusions au nationalisme, moteur de l'histoire grecque depuis deux siècles. Il n'oublie pas d'autres travers de la société athénienne : la mère de Marinos gère une maison de retraite huppée, mais non déclarée, pour échapper à l'impôt...
La structure narrative nous fait agréablement échapper au récit platement linéaire et impersonnel : tantôt l'affaire est rapportée par le marin Fakidas, tantôt par les dépositions des témoins. Le divertissement prime, sans cacher totalement l'intention polémique de l'écrivain.
• Christos Choménidis. La hauteur des circonstances. Traduit par Danielle Blot. Seuil, 1998, 253 pages.