Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Né en 1955 à Trinidad où les Bissoondath et les Naipaul, indiens d’origine, avaient autrefois émigré, l’auteur y a connu dès l’enfance les conflits ethniques.
 

Adolescent, « (il) rêvait déjà d’être écrivain » et choisit, à dix-huit ans, sur le conseil d’un proche, de partir au Canada. Dans les années 1960 ce pays se déclarait multiculturel, ouvert à l’intégration, à l’inverse des Etats-Unis où l’assimilation –le melting pot– fusionnait les cultures. N. Bissoondath s’y sentit très vite chez lui, sans nostalgie de son île. Pourtant dès ses débuts d’écrivain il prit la mesure du fallacieux discours multiculturaliste. Commandé par son éditrice et publié en 1995, cet essai autobiographique fit scandale. Le romancier y critique la politique multiculturelle canadienne et en dénonce « l’effet sur la vie quotidienne des gens ordinaires ». Il vilipende cette société morcelée en groupes ethniques, et la censure que la « pensée correcte » impose tant aux écrivains qu’aux journalistes ou aux professeurs d’université. Dans cette charge très polémique et richement argumentée, l’écriture constitue un acte de résistance lucide face au « Marché aux illusions ».

Si N. Bissoondath n’a jamais oublié ses racines antillaises, il n’en est pas pour autant prisonnier. Reste que la devise de Trinidad, « ensemble vouloir, ensemble réussir » fondatrice de son projet d’écrivain humaniste, l’a vite exposé à la critique. Dans les années 90 la politique multiculturelle incite tous les gens de plume à surveiller leurs mots, à « aseptiser » leurs romans afin de n’offenser personne au nom du respect des cultures. On a reproché à N. Bissoondath d’avoir révélé, dans son premier livre – « Digging up the mountains » –, la corruption, le racisme et la violence aux Antilles, l’accusant de « laisser tomber son peuple » alors qu’il visait l’évocation réaliste de son île. Ses personnages sont de toutes origines, féminins aussi. On lui reproche cette fois son « appropriation culturelle » et la critique le considère comme « un raciste de droite vendu à la cause de l’impérialisme colonial » ! Car pour la bonne pensée multiculturaliste, l’écrivain ne doit pas explorer un territoire qui n’est pas le sien. L’auteur raconte comment une romancière blanche a choqué en mettant en scène une narratrice noire ; et bien d’autres exemples... Chaque auteur devrait donc se limiter à écrire son autobiographie... Mais comme Salman Rushdie, N. Bissoondath défend la liberté d’offenser en brisant les stéréotypes, et le droit d’imaginer. Ses personnages ne sont pas des représentants d’une ethnie mais des être humains avec leur propre psychologie. Le romancier veut explorer, par empathie, d’autres vies que la sienne pour les comprendre, en quête de « la démystification de l’Autre ». C’est en remplaçant l’ignorance par la connaissance que Neil Bissoondath entend montrer autrui comme un semblable et contribuer ainsi à son acceptation, non à sa seule tolérance, synonyme d’indifférence.

En 1995 le multiculturalisme canadien, au nom du respect des cultures, sépare les individus et exacerbe les tensions sociales entre les communautés. On marginalise les ethnies dans des musées de l’exotisme, on les dévalue en les réduisant à des spectacles, des « festivals ethniques », chargés de préjugés : c’est, pour l’auteur, une forme insidieuse d’apartheid. En outre, cette société « mosaïque » où Canadiens de souche et immigrés se côtoient sans échanger n’a aucune unité ni identité positive à partager. Au prétexte de préserver les cultures, les politiques de l’époque n’ont pas su proposer des idéaux fédérateurs qui auraient permis l’intégration. N. Bissoondath déplore le manque de convictions et de valeurs d’attachement de cette société sans cohésion.

Tolérer n’est pas accepter, le romancier l’a appris à ses dépends. Même s’il se voulait intégré, on ne le considérait pas comme canadien. Qu’en est-il vingt ans après ? Le Canada s’est-il ouvert à son avenir métissé ?

• Neil Bissoondath. Le Marché aux Illusions. La méprise du multiculturalisme. Traduit de l’anglais par Jean Papineau. Boréal-Liber, 1995, 242 pages.

Tag(s) : #ESSAIS, #MULTICULTURALISME, #LITTERATURE CANADA
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :