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Écrivain canadien de langue anglaise, mais natif de Trinidad, Neil Bissoondath a choisi une thématique autour de l'exil, de l'errance, du déracinement. Brève présentation des nouvelles, avant de revenir à cette thématique.

 

• La nouvelle inaugurale, À l'aube de lendemains précaires, donne son titre au recueil. Des candidats au droit d'asile politique sont en attente de l'acceptation de leur dossier préparé par un même avocat. Le cas de Joaquin sera tranché demain ; avec toutes les traces de torture dont son corps garde trace, il est probable qu'il sera accepté. Mais les autres... ?

Kyra et Anya. Deux jeunes femmes, journalistes ou se faisant passer pour telles, sont reçues par un vieil exilé, ex-leader politique suspecté de corruption dans une dictature insulaire. Peut-être même a-t-il fait disparaître sa femme. Mais vu de près, Seepersad n'a rien d'imposant, ni d'intimidant. Son garage abrite une voiture vandalisée... Kira et Anya le pressent de questions. Une statue tranchera la question.

Fumées. Francis n'est pas un immigré : son travail l'amène seulement à franchir la frontière linguistique. Il s'est prétendu bilingue lors de l'embauche, mais sa maîtrise du français est limitée, en partie par la faute de son père. Il doit suivre des cours pour garder son emploi. Lui qui a arrêté de fumer s'y remet pour justifier sa présence au fumoir et approcher la belle Angelica. En vain...

Une question de sécurité. Alistair Ramgoolam a mal vécu l'installation à Toronto pour suivre ses fils. Il campe devant le téléviseur et se réfugie dans la tradition indienne alors que ses fils s'en éloignent. Ses exercices de dévotion enfument l'appartement et tout l'immeuble si bien que les voisins ont appelé les pompiers.

Paysage arctique au-dessus de l'Équateur. Dans une république latino-américaine en révolution, un agent yankee tombe amoureux d'Isabel : la fille du directeur de journal est sur la liste noire de ceux que l'agence veut supprimer.

Fissures et trous de serrure. Leonard fait la plonge et le ménage d'un cabaret. Joan lui demande « par où est-ce qu'il entre dans les maisons, votre père Noël ? » Sa réponse c'est le titre de la nouvelle. Elle l'interroge aussi sur ses origines. « Je lui expliquais que ma mère était indienne et mon père noir. » Dans la rue, Leonard donne une ou deux cigarettes à un clochard qui l'appelle Lenny. Un mendiant handicapé se lève et plie son fauteuil. Joan songe à arrêter le métier et rentrer à Windsor où l'attend son petit garçon.

Toute une vie d'adieux. Vendeur d'automobiles satisfait de son sort, Danny reçoit Alicia, son ex-femme et vraie globe-trotter. Censée visiter sa vieille mère en maison de retraite, elle est revenue de Fidji accompagnée d'un jeune mélanésien qui découvre avec surprise la vie au Canada. Alicia, qui a fait le tour du monde, est choquée de voir que son ex partage la vie d'un autre homme.

Le pouvoir de la raison. Méritante, Monica a élevé seule cinq enfants, mais ses trois fils ont quitté l'école pour vivre d'artifices ou de petits trafics. Un soir, les trois loustics ont failli avoir de la mort aux rats dans leur potage. Demain ils iront chercher un appartement à louer. Monica pense à la bicoque qu'elle a quittée dans son île.

Bonne nuit, monsieur Slade. Un concierge se penche sur son passé. Émigré de Vienne, il a vécu à Paris sous l'occupation. Ses parents sont décédés. Son épouse et lui ont été déportés en tant que juifs. Goldman refuse de finir sa vie en maison de retraite.

Oublier. Un exilé politique accompagné de son fils revient dans son ancienne patrie et retrouve d'anciens voisins. Il apprend comment son propre père a été fusillé par les révolutionnaires de la bouche même de l'un des bourreaux toujours en vie.

 

• À l'exception de deux textes, l'action se déroule au Canada, qui passe pour le meilleur pays du monde, de l'avis des experts dans le domaine des droits de l'homme comme des gens ordinaires ; c'est ainsi que Rance, l'espion yankee, est amené à se faire passer pour canadien... Or, l'incertitude du sort des exilés, qu'ils soient réfugiés politiques ou économiques, est le thème général de ces nouvelles. Toutes mettent en œuvre des personnages immigrés, expatriés, ou qui changent de cadre de vie. Mais dans cette société libérale, les situations de fragilité sont multiples. Bien que l'auteur fasse partie de ces nouveaux venus puisqu'il a migré au Canada à l'âge de dix-huit ans, sa réussite professionnelle en tant qu'écrivain canadien ne lui a pas caché les déceptions que d'autres migrants pouvaient connaître. Il y a de l'échec dans l'air pour ces personnages parce qu'ils arrivent pauvres, ou qu'ils n'ont pas de diplôme adéquat, ou que leur tête est restée au pays. Voilà des “gens de peu”, sans activité stable. Ils flottent entre deux identités ; leur sort n'est pas décidé ou leur décision est encore à prendre. Joan la strip-teaseuse hésite à continuer de se montrer dans un cabaret car un homme l'a reconnue dans le métro. Pour beaucoup, les lendemains, s'ils surviennent, seront marqués par la précarité.

Certains, tels Léonard et Monica, vivotent de petits boulots loin des rêves qui les ont entraînés au Canada. Élément fort de ces histoires, la déception, ou l'amertume, pousse au désespoir, au suicide dans le cas de Goldman, l'ancien concierge juif, et jusqu'à l'idée —juste suggérée au lecteur— que Monica la femme de ménages de Mme Galahad pourrait envisager de supprimer ses fils. Pour Seepersad, l'exil canadien n'est même pas sûr : sa voiture a été vandalisée et sa vie est menacée. Pour Alistair Ramgoolam qui a suivi ses fils, sa nouvelle adresse n'est pas sa vraie patrie : « Et il se sentit maltraité, un samedi matin, quand l'aîné s'éveilla avec une gueule de bois aux accords importuns de la musique d'un film tourné à Bombay. Les chanteuses indiennes, avait un jour déclaré son fils, ont toutes l'air de souffrir de congestion nasale chronique. Il poussa son père sur le balcon, pointa l'entaille bleue du lac dans le lointain [le lac Ontario] et dit, la voix sèche de colère : « Tu vois, papa ? Ce n'est pas la mer des Antilles. Comprends-tu ? Ce n'est pas la mer des Antilles que tu vois là-bas. » Avec ces deux figures d'origine indienne et insulaire, on pourra voir un clin d'œil à la biographie de l'écrivain.

Ces nouvelles ne respirent pas la joie de vivre... C'est la version canadienne du réalisme social, dira-t-on, et une certaine démythification d'un pays souvent jugé irréprochable envers ses immigrés et symbole du multiculturalisme.

 

• Neil Bissoondath. À l'aube de lendemains précaires. Traduit par Marie José Thériault. Boréal, 1994, 310 pages.

 

 

Tag(s) : #LITTERATURE CANADA
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