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Bien des parents aujourd’hui désirent que leur enfant apprenne une langue étrangère dès son plus jeune âge. Mais, paradoxalement, bien des idées fausses persistent à propos du bilinguisme. F. Grosjean, professeur bilingue de l’Université de Neuchâtel, démontre à l’aide de nombreuses enquêtes, les avantages pour un enfant à être bilingue, comme pour un adulte à le devenir à tout âge. En France, 20% de la population seulement utilise au quotidien deux ou plusieurs langues ; faible pourcentage comparé à la Belgique ou au Luxembourg. En outre, les bilingues issus de l’immigration souffrent encore souvent en France d’un manque de considération et on accepte mal leur biculturalisme et leur double appartenance.

 

Une personne bilingue n’est pas deux fois monolingue car ses deux langues sont en constante interaction selon le principe de complémentarité. Elle adapte en permanence ses modes langagiers et use de l’un ou de l’autre selon son environnement, son interlocuteur ou le sujet de ses propos. En règle générale, le bilingue exprime dans la langue de la société où il vit tout ce qui concerne le travail, la vie sociale ; et ses émotions, sa vie privée  sa religion dans sa langue maternelle. Selon la situation il peut arriver qu’un bilingue pratique des alternances de code  ou des emprunts — « Je vais checker (vérifier) cela ». Les monolingues également mais de manière plus ponctuelle.

Mais rares sont les bilingues excellents dans leurs deux langues, exceptés les interprètes, les traducteurs et certains romanciers tels Amin Maalouf, Alain Mabanckou ou Nancy Huston par exemple.

F. Grosjean casse les préjugés : le bilinguisme n’affecte pas le développement cognitif d’un enfant, ni ne trouble ou ne retarde l’acquisition du langage !  L’apprentissage simultané de deux langues réussit si « chaque langue est représentée par une personne différente ». Si l’enfant peut bénéficier d’une immersion monolingue quotidienne dans chaque langue, il développera également chacun des lexiques. L’apprentissage successif par l’école ne réussit que si l’enfant parle librement sans être toujours limité au seul langage scolaire complexe. Que les parents se rassurent : l’enfant sait très vite quelle langue parler selon son interlocuteur !

C’est un atout dans la vie ! Utiliser au quotidien deux structures syntaxiques et deux lexiques accroît l’attention sélective de l’enfant et sa capacité d’adaptation à de nouvelles règles. Il gagne ainsi en flexibilité mentale et développe souvent une pensée divergente plus forte que les enfants monolingues grâce à une plus grande ouverture d’esprit.

Mais en France tous les bilinguismes ne sont pas également encouragés. Jusqu’au début du 20ème siècle, on considérait le bilinguisme comme un danger pour l’identité et la culture nationale. Malgré une évolution, la reconnaissance des langues régionales, l’Insee fournit peu de statistiques officielles et ne déclare que 75 langues en France quand l’auteur en dénombre 400 ! Car on ne tient pas compte de l’arabe, du turc ou des langues d’Afrique noire. L’école n’y encourage guère, certains instituteurs conseillant à une mère de parler à son enfant un français qu’elle maîtrise mal elle-même ! parce qu’il ne comprend pas la langue scolaire, l’enfant effrayé accumule des retards. On attend davantage de soutien personnel bienveillant de la part de certains maîtres.

On ne peut que déplorer avec Marie Rose Moro, la politique linguistique de la France,  sa « réticence à aborder les langues minorées » « Actuellement, être bilingue quand on est enfant de migrants économiques est presque une tare en France, alors même que l’apprentissage précoce des langues est favorisé à l’école ».

Enfin, une personne bilingue peut aussi être biculturelle et synthétiser des comportements et des attitudes issus de ses deux cultures. Sa personnalité est une, mais son appartenance identitaire double. Or en France, « on ne sait ou ne peut aujourd’hui accepter la différence » note F. Grosjean. Et M. R. Moro d’ajouter qu’il faut que les biculturels « puissent assumer sans trop de déchirements cette double appartenance et ne pas se sentir obligés de dissimuler leur culture d’origine comme une maladie honteuse ».

Vive le bilinguisme qui ouvre l’esprit au monde ! Mais ne nous y trompons pas : connaître quelques expressions en chinois est aujourd’hui de mode, comme il y a peu le japonais ou naguère l’anglais. Ce saupoudrage induit par la globalisation ne doit pas faire croire que les Français deviennent de plus en plus bilingues...

 • François Grosjean. Parler plusieurs langues. Le monde des bilingues. Albin Michel, 2015, 228 pages.

Tag(s) : #EDUCATION, #ESSAIS
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