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Si l'on excepte les pays du littoral méditerranéen, que savons-nous réellement de l'Afrique entre VIIIe et XVe siècle ? C'est à ce défi que s'est attaché l'archéologue et historien François-Xavier Fauvelle, en zoomant sur une trentaine de situations disposées selon un ordre chronologique. Chacun des 34 brefs chapitres se fonde sur des sources écrites et/ou archéologiques et se prolonge par une biblio-graphie érudite. Ces études jettent quelques éclairs sur les oasis du Sahara, le Sahel, les pays du Nil, et les rivages de l'océan Indien où les voyageurs, les marchands, les géographes sont d'abord des ressortissants d'un monde musulman en pleine gloire.

« Y a-t-il encore quelqu'un au-delà de vous autres ? » s'inquiétait Uqba ibn Nâfi, le conquérant arabe parvenu dans l'antique cité des Garamantes. Eh bien, lui répondit-on, il y a les gens du Kawar à quinze jours de marche vers le sud. Au-delà s'étend le « Sûdan », le pays des Noirs. Entre Maghreb et Sahel, les oasis oubliés comme Sijilmâsa connurent, des siècles durant, une activité caravanière. C'est la route de l'or et des esclaves venus du sud ; le sel provient des salines proches de l'océan ou des mines du désert. Certaines nuits, les caravanes sont attaquées par des brigands ; ils s'emparent des dromadaires : il faut abandonner la marchandise, des tiges de laiton et des balles de cauris, et six ou sept siècles plus tard Théodore Monod, directeur de l'Institut français de l'Afrique noire à Dakar (IFAN) tombe par hasard sur cette « épave au Sahara » que personne n'a retrouvée depuis lors. Dans ces parages s'étendait un mythique royaume « où l'or pousse comme les carottes » selon un chroniqueur qui ne vérifiait pas ses sources et ce pays avait Ghâna pour capitale — impossible à retrouver avec certitude — mais une chose est sûre, elle ne correspond pas au territoire de l'actuelle République du Ghana...

En remontant le Nil le christianisme s'est installé en Éthiopie — le pays des Noirs pour les Grecs — et les églises creusées dans la roche de Lalibela forment l'étape la mieux connue de ce périple africain. Mais les surprises ne manqueront pas pour le plus grand plaisir du lecteur : le pays des Zanj, rivage africain de l'océan Indien, en apportait son lot. L'ambre y attirait jusqu'aux envoyés d'Hârûn al-Raschid. On importait les cauris des Maldives et les perles de verre d'Arikamedu près de Pondichéry. Marco Polo fit escale dans la Corne de l'Afrique au retour de son séjour en Chine — mélangeant ce qu'il vit à Mogadiscio avec les récits qu'on lui fit de Madagascar. Un siècle et demi plus tard les expéditions chinoises de Zheng He en 1417-1422 précèderont de peu Vasco de Gama en route pour Calicut et les épices. Dans ce même XVe siècle, tandis qu' « un commerçant génois, Antonio Malfante, était le premier chrétien latin dont nous ayons connaissance à s'être rendu au Sahara », le vénitien Alvide Cadamosto faisait des affaires à Arguin en achetant des esclaves à des marchands arabes — « le prix est de dix à quinze esclaves pour un cheval » — initiant ainsi le commerce triangulaire puisque les Portugais achemineraient les esclaves à Madère pour leurs plantations de canne à sucre.

L'ouvrage satisfait aussi notre appétit d'Histoire en s'appuyant sur des anecdotes absolument romanesques. L'affaire de la concubine abandonnée avec son enfant en 1144 dans le port d'Aydhâb sur la mer Rouge par un marchand juif revenu de l'Inde est une histoire savoureuse découverte dans les archives de la geniza du Caire, ville où l'attendaient sa bonne réputation, sa famille et... un calomniateur. Mieux encore cette histoire rapportée par un récit persan du Xe siècle :

« En 922, est jeté sur la côte, par une tempête, un navire d'Oman transportant des marchands en route pour Kanbalu sur la côte des Zanj. N'atterrissant pas dans un port connu, les hommes sont à peu près sûrs, pensent-ils, d'être mangés. Or la population noire se montre accueillante et son jeune roi favorable au commerce. Au moment de partir, peu reconnaissants les Omanais enlèvent le roi et l'emmènent comme esclave (…). Le roi sera vendu à Oman. Quelques années plus tard, les mêmes marchands essuient dans les mêmes parages une nouvelle tempête, qui, comble de malchance, les jette au même endroit de la côte. À leur grande surprise, ils retrouvent le roi, qui les reconnaît et les reçoit avec une colère froide. Finalement magnanime, il pardonne et raconte son aventure. Conduit à Bagdad, le jeune homme y apprend l'arabe et s'y fait musulman. Il s'échappe, se rend à La Mecque puis au Caire, et parvient à retrouver la plage d'où il avait été arraché. Ce n'est pas sans crainte qu'il débarque, car, croit-il, le nouveau roi du lieu aura tôt fait de l'éliminer. Mais les devins avaient prévenu d'attendre des nouvelles du disparu avant de se doter d'un nouveau souverain... »

Ce livre ravira évidemment les amateurs d'histoires lointaines, venues des siècles qu'on dit à tort obscurs, et que des recherches érudites ont sauvé de l'oubli. L'ouvrage doit son titre à une statuette du XIIIe siècle: un rhinocéros d'or de 14 centimètres découvert au début du siècle dernier dans les fouilles de Mapungubwe. Il n'a qu'une corne : son modèle serait-il asiatique ? Peu importe, depuis 2002 il sert d'insigne à une décoration très prisée en Afrique du Sud !

NB. Les régions du golfe de Guinée et le bassin du Congo restent cependant à l'écart de l'histoire que parcourt ce livre original : elles y entrent à partir de 1500. Cf. “Congo. Une histoire” de D. Van Reybrouck.

 

• François-Xavier FAUVELLE. Le rhinocéros d'or. Histoires du Moyen Âge africain. Alma éditeur, 2013. Egalement en poche, Folio histoire, 2014, 378 pages. Cahier d'illustrations.

 

Tag(s) : #AFRIQUE, #HISTOIRE MOYEN AGE
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