Maître de conférence à l’université de Nantes et codirectrice avec P. Rosanvallon, de la collection « Raconter la vie » aux éditions du Seuil, P. Peretz brise, dans cet ouvrage, les fausses représentations du Crédit Municipal de Paris (CMP) dans l’opinion commune.
Cet organisme n’a rien d’obsolète ; en outre la clientèle de l’ancien Mont de Piété s’est diversifiée et féminisée. On y gage des biens de valeur, certes pour pallier à un besoin urgent de liquidités, mais aussi pour thésauriser ou s’émanciper. Car le CMP offre plus d’avantages qu’une banque.
Créé en 1777 pour offrir un crédit aux plus pauvres, on y déposait toutes sortes d’objets —linge, vêtements, mobilier. De nos jours, on y engage surtout des bijoux en or. Tous les clients y sont traités de la même manière. Dans la salle d’accueil, chacun attend parmi les autres l’appel de son numéro pour la prisée de son bien. Les commissaires-priseurs ne jugent pas la beauté ou l’ancienneté du bijou ; ils en vérifient l’authenticité , le pèsent et établissent le contrat au cours du jour de l’or. Les guichets de dégagement où le client vient racheter son bien, en moyenne deux ans après, offrent un peu plus de discrétion. Même si la direction du CMP a mis en place des règles et des questionnaires standards, il n’exige pas des clients autant de garanties qu’une banque et permet d’obtenir rapidement de l’argent. Plus souple qu’un emprunt, les taux y restent bas — de 4% à 9%. On ne verse aucune mensualité et l’on paie en une seule fois au dégagement de son bien.
Les interdits bancaires, les personnes auxquelles la banque a refusé un crédit ont recours au CMP. Mais tous les milieux sociaux s’y croisent, depuis celle qui y dépose en sécurité fourrures et bijoux à moindre coût qu’un coffre à la banque jusqu’à la jeune mère qui ne peut payer ses factures ce mois-là.
Les femmes immigrées du Maghreb, d’Afrique Noire et du Sri-Lanka constituent l’essentiel de la clientèle. Pour elles « les bijoux, c’est l’épargne ». Indispensables à leur image et à leur vie sociale, elles en possèdent beaucoup ; offerts à leur naissance, à leur puberté ou leur mariage, ils leur appartiennent à vie, et à elles seules. Les gager les émancipe de la dépendance maritale, leur permet de se faire plaisir ou d’assurer la dot de leur fille, même s’il est parfois difficile de se séparer un certain temps de bijoux auxquels l’attachement affectif reste fort. Toutefois même les femmes africaines préfèrent le CMP à la tontine car il offre plus de discrétion et moins de contraintes.
Les chargés de clientèle ont appris à ne pas céder à l’empathie, ni aux stratégies bien calculées de certaines clientes pour obtenir des arrangements. Ils savent repérer les tactiques, telle celle des « bijoux tournants » consistant à engager les bijoux des amies comme s’ils étaient les leurs. Les chargés de clientèle essaient aussi d’inciter certaines clientes très addictives au CMP à éviter le surendettement, — ainsi cette femme qui a engagé 21 000 euros en 39 contrats…
« Ma tante », — expression imagée due à un mensonge du fils du roi Louis-Philippe — a su s’adapter pour pratiquer l’assistance et vendre du crédit à un public différent. Le prêt sur gage offre de grands avantages ; pourtant dans les mentalités, persistent la gêne, voire la honte d’y avoir recours, un peu comme de devoir fréquenter les Restos du cœur.
• Pauline PERETZ. Au prêt sur gage. “Raconter la vie”, Seuil, 80 pages.
Lu et chroniqué par Kate