/image%2F0538441%2F20220504%2Fob_5edc41_m02070121119-large.jpg)
Here's to you, Nicola and Bart... Qui ne se souvient de la chanson de Joan Baez dans le film de Giuliano Montaldo avec Gian Maria Volonte dans le rôle de Vanzetti ? Mais venons-en au livre de Dos Passos...
« La nuit du 23 août 1927, après sept ans de procédure judiciaire, Sacco et Vanzetti moururent sur la chaise électrique » rappelle Alice Béja dans son utile préface au plaidoyer de l'écrivain américain sans laquelle le lecteur français serait noyé dans les détails ! Au début de l'affaire il y a un braquage commis le 15 avril 1920 devant l'usine de chaussures Rice & Hutchins et qui a coûté la vie à deux convoyeurs de fonds qui apportaient les 15 776 $ de la paye du personnel ; cela se passait à South Braintree, quartier industriel dans la banlieue sud de Boston.
Dos Passos, qui faisait des piges pour le journal de gauche Daily Worker, s'est intéressé à cette affaire : son but avec cet ouvrage publié en 1927, et édité par le Comité de défense de Sacco et Vanzetti, était de susciter un élan de protestation afin de faire rejuger les deux condamnés, alors que déjà plusieurs motions en ce sens avaient été rejetées par les autorités judiciaires, le juge Thayer en tête.
Passant au crible les différentes moments de l'instruction et le déroulement du procès, Dos Passos montre que Sacco et Vanzetti ont été victimes d'un déni de justice, d'un véritable coup monté, avec l'assentiment du jury. « Les hommes du comté de Norfolk se sont serré les coudes autant qu'ils ont pu, pour défendre leurs institutions contre les rouges, les fainéants, les agitateurs étrangers » écrit-il. Malgré les efforts de la défense, les preuves qui auraient innocenté les deux hommes de l'accusation de braquage et de meurtre n'ont jamais été prises au sérieux. Décortiquant les 3900 pages de retranscription du procès de 1921, Dos Passos, montre les contradictions des témoignages, le vide des expertises, les lacunes de la procédure. Les véritables auteurs du crime n'ont pas été arrêtés ; ils faisaient partie d'un gang mafieux local, celui des frères Morelli. Un de leurs comparses, le jeune Celestino Madeiros, arrêté pour un autre hold-up, se retrouva en prison à Dedham dans la cellule voisine de celle de Sacco ; compatissant, il voulut le faire innocenter mais son témoignage ne fut pas retenu...
Dans le climat de l'époque Nicola Sacco et Bartolomeo Vanzetti étaient des coupables tout trouvés puisqu'ils étaient à la fois italiens et anarchistes. Au moment de leur arrestation, le 5 mai 1920, ils se rendaient en tram à un meeting de protestation contre les violences policières après la mort par défenestration de l'imprimeur anarchiste Salsedo. On ne prit pas en considération le fait que Sacco portait une arme en tant que gardien de nuit ; on la tint pour arme du crime de South Braintree. Quant à Vanzetti qui avait été l'instigateur d'une longue grève en 1916, il fut aussi inculpé en mai 1920 pour avoir tenté de dévaliser un transport de fonds à Bridgewater à la veille de Noël 1919 — alors qu'en fait à ce moment il livrait des anguilles à des particuliers.
Pourquoi Dos Passos s'est-il passionné pour cette affaire ? « Cela m'intéressait parce que les hommes étaient anarchistes, et j'avais beaucoup de sympathie pour leurs naïves convictions, si semblables aux illusions des premiers chrétiens » se souvient John Dos Passos, quarante ans plus tard, en rédigeant les pages d'autobiographie de “La belle vie”. Il poursuit : « Il est difficile d'expliquer à des gens qui n'ont pas connu au début des années 20 la virulence de la haine contre les étrangers et les gens de gauche aux Etats-Unis après la première guerre.» De fait, une large partie de l'opinion avait été déçue par l'engagement européen de Woodrow Wilson dont la réélection en 1916 s'était jouée sur la promesse de rester à l'écart du conflit. Dès 1919, une vague réactionnaire et d'isolationnisme anti-européen submergea le pays ; le traité de Versailles et le pacte créant la Société des Nations si chère à Wilson furent rejetés par le Sénat américain. Le prise de pouvoir sanguinaire des bolcheviks en Russie n'arrangea rien et l'anti-communisme déferla contre les Rouges en général en une hystérie dont l'attorney général Palmer fut l'instigateur en janvier 1920 — prolongeant ainsi la répression en 1918 du syndicat révolutionnaire IWW via un maxi-procès. Tous les maux venaient donc de l'Europe, et parmi ces “radicaux” honnis, les immigrés figuraient en première place surtout s'ils étaient ouvriers, anarchistes et italiens comme Sacco et Vanzetti. (Dos Passos rappelle l'insulte qui les visait : des « wops puant l'ail »). Quand en septembre 1920 une voiture piégée explosa devant le New York Stock Exchange, à Wall Street, faisant une quarantaine de morts et de nombreux blessés, beaucoup crurent y déceler les représailles des anarchistes pour l'arrestation de Sacco et Vanzetti !
Dans son plaidoyer Dos Passos ne se dresse que contre la parodie de justice. Il n'écrit pas contre le principe de la peine de mort. Après l'exécution des deux Italiens, il partit au Mexique rencontrer des artistes communistes comme le muraliste Diego Rivera ; il s'y trouvait pour « el dia de los muertos » le 1er novembre 1927.
• John Dos Passos. Devant la chaise électrique. Sacco et Vanzetti : histoire de l'américanisation de deux travailleurs étrangers. Traduit par Alice Béjà. Arcades, Gallimard, 2009, 191 pages.
NB. Alice Béja a soutenu une thèse intitulée “Une écriture de combat. Fiction et politique dans l'entre-deux-guerres aux États-Unis : John Dos Passos (1920-1938)” que l'on peut consulter en cliquant ici.
________________________