Un titre intrigue et on cède...
« La loi de Godwin s'énonce par un postulat d'une simplicité biblique : plus une discussion dure longtemps, plus les chances de voir un interlocuteur se référer aux nazis deviennent élevées. »
Peut-être bien, admettons ! Mais de quoi est-ce le signe ? « En pratique, franchir le point Godwin est considéré comme un discrédit pour celui qui l'utilise — comparer le discours de l'autre au nazisme ou traiter son interlocuteur de nazi — car il révèle un manque d'arguments par le recours abusif à ce qui représente, aujourd'hui encore, la vision du mal politique et social absolu en Occident. »
En somme depuis 1945 le nazisme faisant figure de mal absolu pour nos sociétés, — en raison du nihilisme ultime que représente l'Holocauste — elles ont voulu en écarter le retour possible par différentes biais. Le point Godwin en est un. Le franchir c'est rendre impossible la poursuite de la discussion, c'est disqualifier celui qui transgresse l'interdit. Plus jamais ça...
Pourtant y a-t-il aujourd'hui plus sacré que la liberté d'expression ? Pourquoi fustiger par la loi le négationnisme puisque, en fait, l'histoire ne repasse pas les plats. C'est sans doute que nos démocraties européennes ont perdu de leur vigueur initiale. « Nous avons bridé la force en l'appelant liberté, et protégé la faiblesse en la nommant égalité ». Il le fallait bien pour pacifier la vie en société et rejeter la loi du plus fort à laquelle il est toujours tentant de succomber. François de Smet nous met en garde contre l'appel à la meute. C'est une urgence. Mais, selon l'auteur, il n'y a pas lieu de jouer à l'indigné — contrairement à l'injonction d'un pamphlet récent — sauf à se satisfaire d'une posture sans autre effet que de se donner bonne conscience.
Au lieu de regarder uniquement dans le rétroviseur comme notre permanente commémoration du passé semble l'indiquer, il faut rester en alerte et se demander d'où, demain, surgira la menace.
Toutefois, lorsque nous lisons « nous manquons de “méchants” qui en ont vraiment l'air » (page 21) on peut se demander si l'auteur n'oublie pas que Daech — l'organisation du soi-disant Etat islamique — et la nébuleuse qui l'entoure n'ont pas déjà, à force de nihilisme, repris le rôle de l'homme à la mèche et à la moustache, et de la meute qui le suivait, le rôle du Mal absolu...
Un essai à lire et à méditer !
NB. Le titre est repris de la formule du juriste Leo Strauss (1953) par analogie avec l'argument rhétorique reduction ad absurdum.
• François De Smet. Reductio ad Hitlerum. Une théorie du point Godwin. PUF, 2014, 160 pages.