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Janis Otsiémi est un auteur gabonais né en 1976. Il s'est spécialisé dans l'écriture de polars qui permettent de découvrir Libreville, la capitale du Gabon en savourant une écriture riche d'une langue fleurie.

 

Que trouve-t-on dans les romans de Janis Otsiémi ? Comme dans tout bon polar, des histoires de la pègre locale, des meurtres, des enlèvements qui tournent mal, des policiers corrompus et quelques propos amers visant les autorités. Et bien sûr des enquêtes. “Peau de balle” est un récit linéaire fondé sur le kidnapping de la petite-fille d'un riche homme d'affaires et le titre semble suggérer que les enquêteurs n'atteindront pas complètement leur objectif. “La bouche qui mange ne parle pas” bénéficie d'une intrigue plus complexe : c'est une affaire d'atroces crimes rituels dont on soupçonne rapidement qu'un élu de la République est le commanditaire. La bande des voyous fournit des jeunes garçons à un marabout diabolique qui élabore des gris-gris pour sa campagne électorale ; sans compter une affaire de chantage et une escroquerie aux faux-billets. “Le chasseur de lucioles” voit la police rechercher un serial killer responsable de l'assassinat de prostituées dans des motels de Libreville ; en même temps la gendarmerie est sur la piste des auteurs d'un hold up visant des transporteurs de fonds. Le policier Koumba et ses équipiers se retrouvent dans chacun de ces trois romans, avec une égale soif pour se « mouiller la gorge » car dans cette « République bananière » la corruption est l'usage.

Toutes ces actions se déroulent dans Libreville, dans différents quartiers, résidentiels ou populaires (Akébé, Louis, Petit-Paris), et le long du bord de mer. Avec 650 000 habitants et l'argent du pétrole, Libreville est montrée comme une ville à forte circulation automobile, nombreux 4x4 rutilants, et plus modestes « occasions-Belgique ». L'auteur décrit une société volontiers festive ; les voyous et policiers se croisent dans les « maquis » ou au casino La Croisette, que fréquentent les « Blancs-manioc », et autres « ambianceurs » venu « fricasser » leurs « bongo » dans les boîtes de nuit. Mais c'est loin du front de mer, dans des motels ou « garceries » du quartier Nzeng-Ayong que les « lucioles » ont été assassinées. Le Gabon fait figure de pays tranquille où la criminalité ne peut venir que de l'étranger : les bandits les plus redoutés sont des têtes brûlées venues du Nigeria ; les belles-de-nuit que poursuit Georges Paga le chasseur de « lucioles » sont camerounaises, sinon « katangaises » ou « équato » c'est-à-dire venues de Guinée-Equatoriale.

Outre les multiples proverbes —authentiques ? inventés ?— placés en exergue des chapitres du “Chasseur de lucioles”, le vrai bonheur de lecture vient principalement de la langue de l'auteur. On ne peut pas être d'accord avec l'affirmation d'un article de Libération qualifiant Otsiémi d' « écrivain qui fait des bébés à la langue française » : son écriture est d'abord l'expression des usages locaux du français d'Afrique, qui a évolué en retravaillant le vocabulaire et la syntaxe loin des normes hexagonales. L'auteur est responsable des mots qu'il choisit, certes, mais son authenticité lui commande de faire parler ses personnages comme des habitants de Libreville plutôt que du XVII° arrondissement. Ces trois romans n'auraient plus de chair sans les expressions populaires que l'auteur divulgue pour notre plaisir de lire un français autre. Au volant d'une « bâchée » il faut « droiter » pour tourner à droite, sans oublier de ralentir avant un « courbon » (un virage). Quand on est « un grand quelqu'un », un riche « ouattara » ou un « mamadou », il est fréquent d'avoir des « deuxième bureau » (des maîtresses) que l'on emmène « weekender ». Après la « rompée » (sortie des bureaux)on se presse dans les « maquis » et la gastronomie locale est parfois évoquée : on commande un « Lacoste », pour un plat de crocodile au chocolat. Côté divertissement les cinémas ont disparu, remplacés par des « églises du réveil ». Boulevard de l'Indépendance, des célibataires qui vont « verber » (draguer) des filles dans l'espoir d'une relation sexuelle « à balles réelles » ont oublié de craindre « le mal du siècle ». C'est ce qui est arrivé à Georges Paga, cadre dans une compagnie d'assurances.

Mais beaucoup de jeunes hommes qui ont dû « casser le bic » (arrêter leurs études) se retrouvent avec « le mal de poche » (fauchés), incapables de payer leur « pilipili » ou d'offrir un verre de « mazout » à leurs copines ; il leur faut « faire l'avion » (se dépêcher) pour avoir de quoi les inviter. Joe, lui, gagne sa vie comme gigolo et maître-chanteur ; à la femme abandonnée par un mari « coureur de chattes pubères », à cette Ginette qu'il fait chanter, il « montrerait les photos et lui jacterait sa tchatche qu'il avait motamoté ». Autrement dit, Joe fait l'effort de « coraniser » (réciter par cœur) ce qu'il a appris, comme à l'école du « temps Pétain ». « Joe savait parler aux femmes. Avec sa langue de grommologue. À croire qu'il avait fréquenté une grande université française alors qu'il n'avait que son certificat d'études indigènes comme diplôme. Et son topo collait avec sa gueule de beau mec et sa sape à la Papa Wemba. »(in “La bouche qui mange ne parle pas“, page 36).

Un auteur à suivre ! Il a publié depuis "African Tabloïd" en 2013 chez Jigal.

 

Peau de balle. Aux (défuntes) Éditions du Polar, 2007. 200 pages.

La bouche qui mange de parle pas. Éditions Jigal, Marseille, 2010, 160 pages.

Le chasseur de lucioles. Éditions Jigal, Marseille, 2012, 202 pages. Et en Pocket.

 

 

Tag(s) : #AFRIQUE, #LITTERATURE FRANÇAISE
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