Loin des contes africains situés dans les villages de brousse, les nouvelles de F. Couao-Zotti s'inscrivent dans un milieu urbain et contemporain pour évoquer les tourments du petit peuple emporté dans la fièvre des passions et du désir. Ces histoires sont pour la plupart bâties autour d'un crime ou d'une mort tragique.
Dans ce recueil de dix nouvelles, les héros sont des gens à plaindre, qu'ils soient ou non coupables, tous entraînés dans leur folles passions. L'Homme dit fou tue la femme avec qui il se dispute la garde de leur petite-fille : c'est la nouvelle qui donne son titre au recueil. Deux hommes se battent sur la tombe d'une femme : Gaspard, le mari, avait assassiné sa femme en tentant de tuer son beau-frère (Ci-gît ma passion). Une jeune femme a été violée par un homme masqué ; il s'avère que c'était son oncle et qu'il lui a donné le virus du sida, aussi a-t-elle tué son nouveau-né infecté (Le Monstre).
Marc et Lysa se disputent : il a désormais l'argent pour lui payer une cure de désintoxication, mais cet argent vient d'un vol et du meurtre d'un « tontinier » (L'avant-jour du paradis).
Sur le marché, un gamin vole un bijou en or et une course poursuite, fatale, s'engage (Petits enfers de coins de rue).
Accusée de sorcellerie après la mort de l'enfant d'Abiba, une vieille femme détourne la vengeance populaire vers le père (Présumée sorcière).
Une femme, jadis « accusée de complicité avec le Malin », fait de son corps un spectacle public à la fois érotique et si divertissant qu'au tribunal des juges en meurent de rire (Le rire du nombril).
Une femme vole un bébé à sa cousine et s'engage une course poursuite qui tourne mal (Tant qu'il y aura des anges).
En revanche, le meurtre n'est pas encore arrivé dans deux textes : un jeune officier est trompé par sa « pétasse » de femme et il sent venir « une démence sanguinaire » (Délalie) cependant que le quartier chaud de la capitale du Bénin évoque lui-même les plaisirs et les débauches de la nuit (Jonquet blues).
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Autant, sinon plus que les sujets, c'est la virtuosité du style qui retient l'attention même pour une description du paysage urbain : « À l'ouest du Nouveau Pont, un bidonville pointait un petit museau déjà fort garni : des abris de fortune faits de cric et de crac, de gigantesques cartons cellophanés, des hangars aux tôles surrouillées, des baraques en planches de salut, des poubelles, des ordures, l'univers en vrac... » L'écriture de Couao-Zotti sacrifie à la couleur locale, aux us et coutumes de son pays où le machisme est dans l'ordre des choses : « Ton ventre est incapable de fructifier un garçon, lui reprochait son mari. Au prochain essai désastreux, je te vire ». Il écrit dans une langue audacieuse avec la syntaxe usuelle et que le néologisme ne rebute pas : « Il courait. Il vitessait. Ah la flèche intrépide ! » Le réalisme est à la fois très appuyé et prêt à prendre au sérieux la magie populaire. La femme accusée de sorcellerie semble avoir un lien spécial avec une chouette. Le mari de Délalie s'est mis à « écumer les cases obscures des charlatans ». Natchaba, alias l'homme dit fou et cadre licencié, arrête les balles des policiers, et si le maire le reçoit en audience c'est parce que le magistrat a cédé « sur l'insistance grave d'un collège de sorciers et de son gourou spécial ». L'auteur a un grand sens de l'humour qui va bien avec son écriture imagée. Les flics sont des « cowboys de poulailler ». Le quartier Jonquet où l'on danse avec les filles « au décolleté prends-moi-tout-de-suite » est « une escale de Nigérianes et de Ghanéennes qui viennent s'y constituer une cagnotte » ; « les tenancières des maquis » y voisinent avec les prostituées barbouillées de maquillage : « Fanta face, body Coca-Cola ». Ce sont les « chéries-caleçons » et les « chéries-matelas » ! Pour expliquer la violence de la société qui l'entoure Couao-Zotti se fonde particulièrement sur la sexualité et accessoirement sur la misère qui crée des « délinquants première division »...
Au-delà des sujets à la fois dramatiques et drolatiques abordés dans ce recueil, la verve jubilatoire qui nourrit ces nouvelles appelle le lecteur à se précipiter sur d'autres titres de cet auteur...
• Florent Couao-Zotti. L'Homme dit fou et la mauvaise foi des hommes. Le Serpent à plumes, “Motifs”, 2000, 213 pages.