Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Dans ce recueil d'une vingtaine de nouvelles publié au Seuil deux ans avant le décès de l'auteur argentin émigré en France, le lecteur ne peut que remarquer, outre la qualité d'un style riche de phrases souvent longues et complexes, la présence de certains thèmes récurrents, les rêves, l'écriture, les conversations entre amis. En effet l'œuvre de J.J. Saer présente quelques personnages récurrents tels Carlos Tomatis, Pigeon (Pichón) Garay, Barco, Soldi, Nula... L'originalité de ces nouvelles —ou fragments— réside en fait dans le mariage du changement de lieu et d'espace par un récit rapporté, par le souvenir d'un rêve, ou par une conversation. Cette spécificité n'apparaît pas forcément de prime abord.

 

• Retour sur quelques unes de ces nouvelles, d'abord avec des personnages isolés. Le premier texte sert de préface : un conférencier fait un rêve de rhinocéros et montre au public la photo de la bête.

« Traoré » est une histoire de griots au service de roitelets rivaux que raconte place Vendôme un balayeur immigré à son collègue. Traoré est « à la fois chrétien et musulman, c'est-à-dire séréré par sa mère et bambara par sa lignée paternelle » et en famille dans une mansarde au nord du métro Barbès-Rochechouart, qu'à dix ans sa propre mère le traite de « fils du diable » et qu'à vingt ans, envouté par le gri-gri d'un sorcier sénégalais, il devienne un criminel.

« Les pyramides » se fonde sur l'histoire d'un entrepreneur du Caire à qui arrivent des déceptions, par la faute de son fils, alors qu'il venait de se considérer comme le plus heureux des hommes.

« Bien commun » : une jeune femme raconte à son mari que lorsqu'elle est en voyage professionnel elle est prise du « penchant irrésistible » de faire l'amour à des inconnus. Il en accepte l'idée. L'encourage même. Mais au bout d'un certain temps la femme le quittera sans donner d'explication.

« A propos d'un week-end » se passe dans le Middle West. Au retour d'un week-end chez ses parents, une épouse est assassiné par son mari resté à la maison, lequel se suicide aussitôt. Le crime est apparemment inexplicable. En fait le mari était tombé sur une vieille cassette video pornographique qui l'avait mis hors de lui. « La nuit même, les éboueurs emportèrent la cassette » et l'élément qui aurait pu permettre aux enquêteurs de comprendre les événements disparut sauf dans l'imagination de l'auteur.

« Neige de printemps » : un couple de touristes italiens à Vienne va dîner dans une taverne grecque et y surprend la conversation d'un vieux bonhomme qui préfère à la contemplation des chefs-d'œuvre de l'Alte Pinakotek une gorgée de vin blanc. Comme quoi il est bon d'aller dans un restaurant grec pour se mettre à philosopher.

« Copieur » décrit un cas médical. Un médecin détaille à son confrère le cas d'un patient atteint d'une sorte de catatonie pendant deux semaines et qui ensuite lui expliqua d'où venait son mal : de l'autre côté du Mur de Berlin, quelqu'un copiait tous ses gestes, l'obligeant à chercher une parade dans une totale immobilité.

• Passons aux textes où se trouvent des personnages récurrents. Dans « l'Homme non culturel » Tomatis écrit au Mathématicien —qui s'est réfugié en Suède pour fuir la dictature— une évocation de l'oncle pharmacien dont il a hérité. L'oncle était célèbre dans sa famille pour ses siestes “philosophiques” à la recherche de l'homme primitif, « non culturel », au moyen d'une introspection abyssale qui le menait, prétendait-il, aux origines de la vie.

« En ligne » : Sur sa terrasse ensoleillée Tomatis est en train de téléphoner. Il explique à Pigeon Garay qu'avec son ami Soldi ils ont découvert dans la bibliothèque de Jorge Washington Noriega, un tapuscrit intitulé “Sous les tentes grecques” qui complète bizarrement le gros roman de cet auteur. Il y apparaît que la vraie Hélène n'a jamais mis les pieds à Troie.

« Réception à Baker Street » est à mes yeux le meilleur texte. C'est aussi le plus long. « Moi, je prépare un texte sur une autre affaire qui a eu lieu il y a une cinquantaine d'années en Angleterre, dit Tomatis à l'œnologue Nula qu'il rencontre avec ses amis à la gare : l'empoisonnement d'une infirmière et de seize nouveaux-nés. Et si je l'écrivais, le détective ne serait ni plus ni moins que Sherlock Holmes… » Et de discuter de l'intrigue avec ses amis Soldi et Nula. L'histoire prendrait la forme d'un roman en vers. Un aristocrate philanthrope et au-dessus de tout soupçon s'avère être le criminel.

Intéressante aussi la nouvelle intitulée « Choses rêvées » où Tomatis et Gabriela, la fille de son ami Barco, discutent d'écriture non-autobiographique et où Tomatis démontre à Gabriela que son texte pourtant très imaginatif et contraint ne peut échapper à une interprétation autobiographique.

« Vers la nuit ». Horacio Barco à la recherche d'un texte court à lire avant le déjeuner, choisit « une version de “L'Ascension du mont Ventoux” de Pétrarque, et s'installa pour lire dans son bureau d'avocat ». La lecture le renvoie à une ancienne aventure personnelle.

Au final, on peut considérer que ce recueil forme comme une anthologie du talent de l'auteur argentin, marqué par l'importance des retournements, des changements de points de vue, voire des coïncidences...

Juan Jose SAER : Lieu [Lugar], Traduit par Philippe Bataillon. Seuil, 2003, 232 pages.

 

 

 

Tag(s) : #AMERIQUE LATINE, #ARGENTINE
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :