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On dit que les lecteurs qui suivent Alessandro Baricco ont été déçus par ce roman qui n'a peut être pas la légèreté d'une œuvre telle que “Soie”. J'ai même lu que l'histoire était jugée “sans queue ni tête”. Il est vrai que “City” est un roman qui a de quoi surprendre ! Par le sujet et par l'écriture.

Le personnage principal, Gould, est « un génie », a-t-on déclaré à ses parents quand il n'a pas pu supporter l'école et qu'on lui a fait subir des tests. Dans le roman, on le suit entre treize et quinze ans. Il a fait des études de physique et continue de fréquenter l'université, de préférence dans les amphis vides, comme celui du professeur Mondrian Kilroy. On lui annonce un avenir de chercheur nobélisable ! Effectivement ce qu'on voit de la vie de Gould ne donne pas l'impression d'un garçon ordinaire, mais d'un autiste.

Ne fréquentant personne de son âge, il s'est inventé deux amis imaginaires, le géant Diesel et Poomerang le muet au crâne rasé. Il invente aussi les matches et l'interview d'un champion de boxe, Larry Gorman, au cours de plusieurs épisodes tout au long du roman. Enfermé dans les toilettes, Gould se fait sa radio :

« Troisième reprise ici sur le ring du Toyota Master Building, Larry Gorman et Leon Sobio, pour un match en huit reprises, Gorman semble déjà marqué au visage, Sobio toujours au milieu du ring.., dans sa posture caractéristique, pas très élégante mais efficace... un grand combattant, on se rappellera sa rencontre avec Harder... douze rounds d'une grande férocité... jab gauche de Sobio, encore un jab... Gorman pédale en arrière, Gorman dans les cordes, puis il s'extrait de là avec élégance... C'ÉTAIT QUOI ÇA, LARRY? T'ES PAS LA POUR DANSER LE TANGO ! »

Le boxeur Larry Gorman monte sur le ring pour la gloire mais aussi pour l'argent, mais Gould n'en fait pas une lumière, à preuve ce passage d'interview radiophonique:

« —... tu vois mon ex-femme, non? elle c'était une vraie pompe à fric, impressionnant, toujours à dire qu'elle avait pas un rond pour s'habiller, moi j'en croyais rien je la laissais dire, mais elle insistait, elle avait pas un rond pour s'habiller, l'a bien fallu que je la croie quand j'ai vu sa photo dans Playboy..."

Si Gould est à ce point seul c'est aussi que son père vit bien loin de lui, sur une base militaire du Texas et qu'on a dû interner sa mère. Son père qui semble être un officier lui téléphone une fois par semaine et lui envoie de quoi payer une gouvernante.

Avant d'entrer au service de Gould, Shatzy Shell a été licenciée par un éditeur de BD comme le rapporte l'étonnant prologue où il est question d'un sondage d'opinion sur les aventures d'un super-héros dont les ventes déclinent. L'incipit prend le lecteur par surprise : « —Alors, monsieur Klauser, est-ce que Mami Jane doit mourir ? » et ensuite c'est Gould son interlocuteur et leur relation commence... Ce monde de fiction, Shatzy va continuer d'y vivre tout en étant passée au service du petit génie : elle s'invente des épisodes d'un western et les enregistre sur son magnétophone. Ainsi connaîtrons-nous l'histoire de Closingtown, petite cité minière quelque part dans l'Ouest sauvage, où le temps s'est arrêté : littéralement ! Les sœurs Dolphin qui ont vécu cela trente-quatre ans auparavant et qui manient subtilement les armes à feu vont s'efforcer de trouver un horloger.

Gould et Shatzy ont donc chacun un monde imaginaire envahissant mais ils s'entendent bien ensemble malgré la différence d'âge. Alors que Gould va sur ses quinze ans, Shatzy décide d'acheter une caravane pour l'emmener en vacances. Elle achète celle que n'utilise plus le professeur Bandini et pour ce faire débarque à son cours :

« “—C'est vous qui vendez une caravane d'occasion, modèle Pagode, de 1971, bon état, prix à discuter, échange exclu ?” Sans bien comprendre pourquoi, le professeur Bandini eut honte comme si on venait de lui rapporter un parapluie oublié dans un cinéma porno.»

Gould et Shatzy fréquentent aussi le professeur Kilroy, celui qui s'est mis à vomir lors de la réception d'un chercheur anglais à l'université et cela nous vaut d'en savoir plus sur cette sorte de professeur Nimbus qui a rédigé son “Essai sur l'honnêteté intellectuelle” sur le dépliant d'un sex-shop.

Le dimanche, Shatzy et le professeur lavent la caravane. Mais elle ne va pas servir, car Gould, à qui on a proposé un poste dans une université éloignée disparaît... Désormais, Shatzy va un peu mieux connaître la famille de Gould...

Dans “City”, Alessandro Baricco ne surprend pas réellement par un style relâché, constamment dans l'oralité —c'est devenu banal— mais par la succession de longs paragraphes, denses et souvent bavards, à des pages de dialogues brefs qui tiennent beaucoup de la BD.

Parle–moi de ton père.

Qu'est-ce que vous voulez savoir ?

Je ne sais pas... tu aimes bien être avec ton père ?

Oui. Lui il travaille dans l'armée.

Tu es fier de lui ?

Fier ?

Oui, je veux dire, tu es... fier... fier... fier de lui ?

— …

Et ta mère ?

— …

— … »

Ainsi il est clair que Gould n'a pas envie de parler ! Le contraste est donc très marqué entre ces dialogues rapides et les paragraphes souvent massifs qui les séparent. On peut rechigner devant les uns comme devant les autres. Voilà donc un roman hors du commun, peut-être moins attirant pour les lecteurs habituels de Baricco que pour ceux qui aiment être étonnés et sont à la recherche de manières inédites. Parfois je me suis laissé aller à penser à Pynchon avec cette histoire apparemment erratique. 

 

• Alessandro Baricco. “City”. Traduit de l'italien par François Brun. Albin Michel, 2000, 361 pages. Folio, 2001.

Réédition italienne en poche : Feltrinelli, coll. Universale economica, 2013.

 

 

Tag(s) : #LITTERATURE ITALIENNE
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