Un artiste flamboyant, –et quel peintre !–, est le héros de ce bref roman publié quelques mois avant la mort du poète et romancier Henry Bauchau (1913-2012).
Pourquoi “Déluge” ? Parce que le peintre Florian se voit en nouveau Noé construisant l'arche : c'est le thème de la très vaste composition, riche de nombreux motifs, sur quoi le peintre travaille dans sa vieillesse entouré de quelques intimes. Parce que peindre le Déluge c'est proposer de mettre un terme à une œuvre tout entière vouée au feu, au propre comme au figuré, puisque l'artiste avait dès sa jeunesse tendance à brûler ses œuvres, avant même de s'apercevoir que par ce moyen la valeur des toiles survivantes explosait... Or, ce n'est pas l'argent qui l'intéresse, mais la puissance de l'art. Capable de provoquer aussi bien la guérison que la folie.
Au cours de sa vie d'artiste, ce Florian on l'a aussi bien déclaré fou que génial, et quand sa présence dans une ville vient à être connue, les journalistes arrivent et l'importunent et il ne supporte pas cela. Contre eux, contre le monde extérieur, Florian est protégé : de loin par une femme médecin, Hellé, vieille complice qui gère son âme et sa fortune ; de près par un groupe de quelques personnes qui s'est constitué à l'occasion de sa présence dans un port du Midi et ces personnes sont devenues ses fidèles, certaines participant même à l'œuvre picturale.
En associant Florence à ses créations, le peintre l'a guérie de la maladie qui l'avait fait renoncer à son travail dans la capitale pour s'installer au soleil. Il lui a redonné vie en tant qu'Eve. Il lui a fait découvrir l'amour en la personne de son autre assistant, Simon, ancien mécanicien, ancien taulard, lui aussi transformé par l'art. Ces trois personnes se sont rencontrées lors d'une destruction par le feu d'une toile du maître, scène marquante peu après le début du roman.
J'ai apprécié que ce roman sur l'art ne s'embarrasse jamais de discours théoriques. Florian est quasiment muet sur ce sujet. Quelques cris, quelques gestes, mais aucune revendication d'appartenance à une école, uniquement peindre, et souvent boire — trop. Florian n'aime pas qu'on regarde ce qu'il peint, et ce que ses aides peignent, il le cache souvent, laissant passer du temps avant de faire ses retouches, qui les comblent souvent de bonheur. L'inquiétude qu'ils ont est qu'il prenne son briquet pour avoir lui et lui seul le plaisir de contempler ses couleurs en feu. C'est pourquoi ils espèrent, avec la bénédiction de Hellé, que le thème de l'eau –donc du déluge– sauvera l'œuvre ultime.
Un beau roman donc, porté par une écriture très souvent au présent, non par facilité d'écriture mais pas une sorte de nécessité pour donner plus de force au récit, et la plupart du temps c'est la parole de Florence, sinon celle de Florian, ou celle de Hellé, venue, malgré sa santé déclinante, contempler l'œuvre de son vieil ami et patient.
• Henry Bauchau. Déluge. Actes Sud /Babel, 2011, 167 pages.