Afin de consoler ses filles de la perte de leur chatte, G. Le Blanc, professeur de philosophie, s’est rendu dans une chatterie, « Au royaume d’Agapé », spécialisée dans les sacrés de Birmanie. Il y a rencontré Karine, l’éleveuse, dont il brosse un portrait sensible. C’est l’occasion de découvrir –annexes à l’ appui–, le petit monde des félins, mais surtout de réfléchir aux liens particuliers qui se tissent entre un chat et son propriétaire. G. Le Blanc ne s’attendait pas au discours empreint de sagesse philosophique de « la femme aux chats ».
Contrôleuse aux impôts depuis plus de vingt ans, mariée et mère de trois filles, Karine aime son métier, même s’il est devenu plus contraignant et exige la maîtrise de multiples compétences. Mais ce premier monde ne lui suffisait pas. Depuis l’enfance son père avait toujours contré son désir de chat, c’est pourquoi, après avoir obtenu sa certification et une formation de vétérinaire, Karine s’est déclarée éleveuse en 2011, non par compensation de la routine du fonctionnaire, mais pour donner corps à sa passion des chats birmans. Ils évoluent librement dans la maison familiale : les cages les désocialiseraient selon Karine. Chacune de ses minettes a deux portées annuelles, mais même à 800 euros le chaton Karine n’en tire pourtant pas de gros revenus en raison des frais de fonctionnement de la chatterie. Certes elle présente ses chats dans les salons, non pour la gloire d’un prix mais pour se rassurer : présenter ses birmans c’est s’assurer qu’ils correspondent bien aux standards de beauté de leur race. La femme aux chats se veut différente des animaleries qui ne cherchent que la rentabilité et n’hésitent pas à pratiquer des accouplements consanguins.
Pour Karine, être éleveur « c’est un art plutôt qu‘un commerce »; et ce qui compte le plus dans son deuxième monde, ce sont les liens avec les animaux et les acheteurs.
« Ce n’est pas le chat qui vit chez vous, mais vous qui vivez avec le chat » explique l’éleveuse avant de poursuivre : « il sent des choses sur nous que nous on ne sent pas ». Jamais servile mais attentif et réceptif à l’humain, la caresse prend tout son sens car c’est un don réciproque et gratuit, « un geste de plénitude et de lâcher prise » pour l’homme. Ce contact relaxant induit une meilleure relation de Karine à ses proches. De son côté le chat se frotte contre son maître, le « léchouille, le baisouille »: prendre soin de son chat, c’est prendre soin de soi. Ce soin mutuel brise la frontière entre l’homme et l’animal : c’est la « philosophie de sociabilité » de Karine, son rêve d’une société où chacun a sa place et où l’autre est accueilli et considéré : un deuxième monde de justice et d’amour.
On comprend que se séparer de ses chatons soit une redoutable épreuve pour Karine, comme une adoption ; elle a besoin de garder le contact avec les parents adoptifs, d’avoir nouvelles de ses petits ; elle vit ainsi un peu de la vie des autres.
Le chat tisse du lien social entre les humains. Qu’il soit de race ou non, il entretient avec qui sait l’aimer et le respecter une mystérieuse et authentique relation que G. Le Blanc a su rendre visible.
• Guillaume Le Blanc. La Femme aux Chats. Seuil, coll. Raconter la vie. 2014, 72 pages.
Chroniqué par Kate