A. Van Reeth, animatrice des Nouveaux Chemins de la Connaissance sur France Culture, propose la lecture de « ce qui n’a pas encore été dit à l’antenne » afin de « donner envie de réfléchir » à certains sujets qui seront abordés dans les prochaines émissions. Débattant de la méchanceté avec le philosophe M. Foessel, tous deux convoquent autant les grands penseurs depuis l’Antiquité que la littérature. Il est aussi difficile de définir la méchanceté que d’en retracer l’histoire. À la différence de la cruauté et de la violence, on ne peut démontrer qu’elle régresse ou progresse au fil des siècles car elle dépend de l’intériorité de chaque individu et aucune loi ni morale n’a de prise sur elle.
Selon saint Augustin, nous sommes tous, dès la naissance, marqués du péché originel et trop faibles pour ne pas commettre le mal : le salut de Dieu trouve ainsi sa justification.
À l’inverse, ceux qui, comme Socrate et Platon croient que « nul n’est méchant volontairement » estiment que l’homme n’agit mal que par ignorance ou nécessité : le pauvre affamé qui vole un pain n’est pas pour autant un méchant homme. J.-J. Rousseau, convaincu de la bonté naturelle de l’homme accusait la société de le rendre méchant. M. Foessel, reprenant Spinoza, estime que les souffrances générées par les institutions sociales, les inégalités, les “mauvaises rencontres” font que n’importe qui peut devenir méchant, et décider de faire le mal pour le mal, par haine ou par vengeance : le contexte rend alors l’homme coupable mais non responsable.
L’actuel traitement juridique de la responsabilité nie ces déterminismes psychiques et sociaux et se refuse à comprendre l’acte méchant avant de juger le prévenu : car les lois partent du principe que tout individu peut -et doit- exercer sa volonté pour résister à sa pulsion de faire le mal. Rien n’est moins sûr : force est de reconnaître « la banalité du mal » soutenue par H. Arendt lors du procès d’Eichmann en 1961: endoctriné, sans recul sur ses actes, il a « obéi aux ordres » d’extermination. Comme lui, tout homme aveuglé par la passion, le ressentiment ou une idéologie est incapable de la moindre distance critique sur ses agissements.
La méchanceté est-elle innée ou acquise? Ni l’un ni l’autre : selon A. van Reeth et M. Foessel. elle tient à la condition humaine, non à sa nature : « la racine du mal c’est la liberté » d’agir selon ses propres choix -même conditionnés-, et d’y investir toute la force de sa volonté. Seules l’éducation et la culture peuvent aider chacun à prendre le recul nécessaire sur ses actes et à contenir ses accès de méchanceté.
On espère en être convaincu lors de l’émission sur France Culture!
• Adèle Van Reeth et Michaël Fœssel. La méchanceté. Questions de caractère. Plon/France Culture, 2014, 147 pages.