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L'Argentine, immense, s'étire jusqu'à tutoyer les parages antarctiques du côté d'Ushuaia. Si loin de Buenos Aires, la pampa a vu les Indiens reculer au cours du XIXe siècle devant une armée conquérante et des missions chrétiennes. Dans ce livre qui n'est ni un recueil de nouvelles ni un roman mais qui pourrait l'être, l'écrivain argentin tout juste cinquantenaire — dont on vient de publier en 2014 “La nuit recommencée” sur le malaise qu'a laissé la dictature — fait revivre ici les luttes des derniers Indiens qui s'opposaient à la conquête de leur territoire et à l'écrasement de leur culture. Après la mort du vieux cacique Calfucurá, son fils Manuel Namuncurá tente vainement de résister aux officiers argentins avant de se rendre et livrer son fils Ceferino.

Un premier récit évoque un épisode de la résistance des Indiens. La présence de l'un des leurs provoque un trouble passager dans une zone de colonisation pionnière, tout au Sud. « Lorsqu'en 1902 fut annoncé que le célèbre assassin Ranquilef, pupille indien de la Mission Salésienne de Neuquén, serait transféré à l'hospice Don Bosco de Terre de Feu, les vieillards qui logeaient dans cette maison se mutinèrent contre son directeur, le père Don Bartolomeo Anchieta ».

Le second récit, qu'en d'autres circonstances on qualifierait de western, donne son nom au livre entier. La jeune Rosario Burgos, fière d'avoir une aïeule indienne, est dangereusement pourchassée par un groupe d'Indiens, malgré le secours d'un vieux soldat dépêché auprès d'elle par « le commandant Florencio Bautista, frais débarqué de Buenos Aires pour superviser l'extermination ». Tout juste adolescente, Rosario se transforme de proie traquée en séductrice de l'un des derniers chefs indiens ; elle y trouve le plaisir avant de devenir sa captive et la mère du dernier des Namuncurá : Ceferino, alias Petit Pied de Pierre.

Ce Ceferino n'aura pas un destin de combattant de la pampa mais de séminariste en Italie, où la tuberculose l'emportera. Sa biographie est construite par les nombreuses voix qu'a convoqué l'auteur : trente-huit témoignages, des domestiques, des camarades de séminaire, de nombreux missionnaires comme ce père Anchieta présent dès l'incipit. Si la forme littéraire est intéressante, on peut par moments regretter que la narration penche plus du côté de Rome que de la Terre de Feu.

L'ouvrage s'y termine pourtant avec des considérations ethnographiques sur la figure du gardien du feu chez les Yaghan, décimés par la rougeole et massacrés par le mercenaire Julius Popper. Les Yaghan vivaient de la pêche et les Ona de la chasse ; « chacun des groupes ethniques se désignait dans sa propre langue par la même formule : “nous qui sommes allés plus loin” ». Jusqu'à l'ultime frontière.

Un bémol : la traduction colle à la phrase espagnole d'une façon qui multiplie sans grâce des tournures et des mots inusités en français.

 

Leopoldo Brizuela. Le plaisir de la captive. Corti, 2006, 260 pages.

 

Tag(s) : #ARGENTINE, #AMERIQUE LATINE
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