Tragicomique et cauchemardesque, ce roman impossible à résumer est centré sur un homme, Breughel — un nom déjà présent dans “Le port intérieur”. Pour lui comme pour ses proches, trois mondes existent : leur imaginaire — « le monde crânien » —, le camp de prisonniers également asile de fous et centre des rebelles révolutionnaires au milieu d'une sorte de ville en ruines ravagée par la gu
erre, et le reste du monde qui s'appelle Balkhyrie.
Breughel a été lobotomisé par Kotter : sa mémoire en a pris un coup, sa raison aussi — mais il faudrait le dire de tous les personnages, tous plus ou moins abîmés, cassés, déchus. Dans cette esthétique de la catastrophe et du chaos, il est difficile de s'accrocher à des bouts d'intrigue sensée. « Je ne dispose plus de données chronologiques exactes pour la scène qui va suivre » déclare Breughel remuant « des émotions et des souvenirs dont je ne savais pas, pour cause de confusion mentale, s'ils étaient factices ou authentiques ».
Un cirque s'était installé sur la place des Martyrs, près de la gare. Les soldats ont libéré les animaux ; des yacks et des autruches errent sur les voies. La cage des fauves devient un centre de détention. Molly est défigurée. Grodzo tambourine sur tout ce qu'il trouve. Breughel collectionne des poupées de chiffon et crée des opéras imaginaires où il s'imagine déporté en arctique en compagnie de Tariana une ancienne gardienne du camp. Kirghyl, figure du chef révolutionnaire et résistant, poursuit de son assiduité la Zoubardja, mais tombera victime des gaz asphyxiants adverses tandis que Breughel et de provisoires survivants incendieront les pavillons déjà en ruines. Tous perdants.
L'auteur se donne un mal fou pour dépeindre la situation cataclysmique où s'agitent ses personnages dans les décombres de leur monde confus, la plongée dans leurs ténèbres, la fin de tout. La notion même d'intrigue vole en éclats. À réserver aux fans de Volodine plutôt qu'une porte d'entrée dans son œuvre.
• Antoine Volodine. Nuit blanche en Balkhyrie. Gallimard, 1997, 185 pages.