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Si “Nos animaux préférés” peut être envisagé comme un recueil de contes, ils ne sont pas du genre que concevait Madame d'Aulnoy. Ici tout se termine mal surtout les histoires d'amour, évidemment. Ces contes sont aussi des fables avec des animaux qui dialoguent avec des humains, mais, à la différence de La Fontaine, il n'est pas fourni de morale explicite à la fin. Inutile ce serait, puisque l'univers “post-exotique” d'Antoine Volodine est désolé, sinistre, raté, fini.

 

En dehors des aventures de Wong l'éléphant et de Balbutiar le crabe — j'y reviendrai — l'auteur a écrit deux séries de micro-récits de 343 mots. La “Shaggå des Sept Reines Sirènes” joue avec d'allusives appellations poissonnières : Court-Brouillonne,  Cabillebaude, ou encore Aiglefine IV née Vanessa Stockfish —une “morue” en quelque sorte ! À titre d'exemple, voici le début de la brève histoire de Monacanthe IV : «  Rares sont les traités qui relatent de la reine Monacanthe l'ascension puis la chute. Selon d'aucuns, l'absence d'événements spectaculaires justifie ce silence des hagiologues ; nous y voyons, pour notre part, l'influence d'une idéologie du vedettariat, le désintérêt des clercs pour l'obscur. Il faut pourtant parler des reines inconnues, des reines qui furent épouses furtivissimes ». D'imaginaires chroniqueurs et d'antiques panégyristes avaient écrit ces « grimoires de référence » sources de ces brèves histoires où l'on est tenté de lire l'influence d'un Borges ou d'un Lovecraft étant donné l'allusion au “Necronomicon”...

 

Une deuxième série –“Shaggå du ciel péniblement infini”– révèle des prétentions poétiques tout en illustrant ce que l'auteur appelle « l'humour du désastre » en demandant à un anonyme de discourir sur « le principe de la roue » ou bien encore de compter 343 mouettes d'un seul coup d'œil. Les titres de ces sept séquences forment une phrase, comme « un message codé » — c'est l'auteur lui même qui le fait remarquer...

 

Suivons maintenant Wong l'éléphant... Il fonce dans la forêt, il écrase tout. Voici un village détruit, comme le monde alentour. Il ne reste plus que quelques cabanes. Il en sort une femme, munie d'un bazooka. Ça ne le séduit pas, alors il fonce avant qu'elle ne fasse feu ! La seconde fois, un autre « animal habillé » se présente à lui et tente bientôt de faire valoir les charmes de son sexe. « En tant qu'humain, elle était un peu désaxée au niveau sexuel, comme tous ses congénères». Alors, Wong recule. Idiot qu'il est, le voici tombé dans un marais de mazout qui l'engloutit ; et la belle Tatiana Crow ne peut rien pour lui, sinon le consigner dans son journal.

 

Avec Balbutiar, c'est l'histoire d'un crabe, ou plutôt de deux ; en fait ils sont trois. C'est une longue dynastie ! Mais n'entrent en scène que les rois n° XI, XXX, et CCCXV... (Pensons à nos Louis qui ne furent même pas capables d'aller jusqu'à XIX). Une fois, coincé par les varechs et les caillasses de la côte, il se souvient du passé et comment il a tué son père. Freudien, le crabe ! Une autre fois, Balbutiar rêve d'un bateau qui fonce droit sur lui alors qu'il est scotché à un rocher de la plage puis il se demande « Dans quel rêve me suis-je fourré ? » et dans ce rêve la trirème vient aussi vers lui... La troisième histoire de Balbutiar est plus longue et plus “romanesque” : en effet, Balbutiar a un harem, et dans ce harem, il y a la belle Minessa présentée avec un certain humour.

 

« Minasse avais un jour été remarquée par le roi, alors qu'incognito celui-ci flânait dans le quartier des boutiques obscures. Ses parents tenaient une échoppe d'herbes et de confiserie, et ils y végétaient, accablés par la dégradation de leurs marges commerciales. Ils ne fondaient aucun espoir sur leur fille. Celle-ci en effet traversait avec insouciance la conjoncture économique défavorable, ne vendait son corps à personne pour aider à boucler les fins de mois ; elle n'avait pas l'absence de scrupules qu'il faut pour réussir dans le capitalisme primitif, et elle se piquait d'être étudiante. »

 

Outre les néologismes, Volodine multiplie les créations de personnages aux noms exotiques nous donnant l'impression de retrouver ceux que l'on a croisés dans “Alto Solo” ou “Écrivains”. Il peut aussi user de ses propres alias : à la faveur d'un commentaire de “Shaggå des Sept Reines Sirènes” ne nomme-t-il pas Lutz Bassmann et Manuela Draeger (page 54) ?

 

Il est aussi adepte de l'intertextualité. Convoquée pour honorer la couche royale, Minessa se voit d'abord demander un conte : elle paraphrase (page 118) la précédente histoire d'un Balbutiar (page 59) : « Le roi Balbutiar se réveilla dans une situation quasiment désespérée et cela le mit de très, très, très mauvaise humeur ».

 

En première lecture j'avoue avoir largement rejeté ces textes. La relecture m'a fait changer d'avis et apprécier ces textes qui sont finalement plus ironiques et plus attachants qu'ils n'y paraissent de prime abord.

 

Antoine Volodine – Nos animaux préférés. Seuil, 2006, 151 pages. 

 

Tag(s) : #LITTERATURE FRANÇAISE
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