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Dans la tradition du conte, atemporel et universel, il était une fois, on ne sait quand, en un pays sans nom, entre plaine et montagnes, des villageois brûlés par une terrible sécheresse. Tous fuient vers le nord, sauf l'aïeul, septuagénaire, car il a planté un pied de maïs dans son champ. Avec lui reste l'aveugle, pauvre chien aux prunelles incendiées par le soleil et qu'il a recueilli. En totale interdépendance, tous deux vont lutter durant une année pour que vive le plan de maïs.

Comme dans tout conte, le héros affronte des épreuves ; à chaque nouvelle repousse succède un partiel dessèchement de l'épi ; entre enthousiasme et déréliction le vieillard et le chien doivent se battre : contre les rats affamés qu'ils finissent par manger ; contre les loups que l'aïeul parvient à repousser par la seule force de son regard. Sentant venir leur fin, il tire au sort qui des deux survivra et enterrera l'autre : la pièce le désigne. Le vieillard creuse alors leur tombe et s'y allonge. Un temps reviennent la pluie et les villageois ; ils découvrent, sous le cadavre du chien, le corps de l'aïeul enlacé par les racines du plant de maïs : à moitié pourri il porte cependant sept beaux grains que sept jeunes garçons plantent dans sept champs.

Ce chiffre sept, signe traditionnel du merveilleux, n'est pas le seul. Yan Lianke multiplie les synesthésies : la respiration du jeune plant rassérène l'homme et le chien au crépuscule ; le vieillard pèse la lumière, écoute « le grondement sourd des rayons », les fouette pour en briser l'ardeur, façons poétiques d'exprimer la conception chinoise de l'univers dont tous les éléments sont interconnectés ; clin d'œil à Baudelaire aussi… L'aïeul et ce chien qui verse des larmes humaines ne sont que deux formes de l'énergie vitale et l'un peut se réincarner en l'autre. Le vieillard possède des pouvoirs magiques, une extraordinaire force mentale et une résistance physique inimaginable à son âge. Sa volonté de vivre et sa pugnacité le haussent au-delà de la condition humaine, jusqu'à défier le soleil qu'il invective : « crois-tu que tu puisses triompher de moi ? (…) Je suis ton aïeul, voyons! »

C'est un hymne à la vie : même à un âge avancé l'homme et le chien doivent survivre car ils sont responsables l'un de l'autre. L'existence de chacun de nous ne prend sens que de l'affectueux souci d'autrui et ne trouve sa finalité que de se transmettre : l'aïeul fait don de son dernier souffle à cet épi comme à son enfant. Si « les jours, les mois, les années » s'égrènent inéluctablement, l'auteur invite à la sérénité intérieure : « Mort, où est ta victoire? »

• YAN Lianke. Les jours, les mois, les années. Picquier poche, 2014 (2009), 152 pages.

 

Tag(s) : #LITTERATURE CHINE
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