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Qui ne connaît le mousquetaire d'Artagnan ? Le cadet de Gascogne qui trouva la mort devant Maastricht s'était vu confier le 5 septembre 1661 la tâche saugrenue de procéder à l'arrestation de l'un des hommes les plus puissants du royaume : le surintendant Nicolas Fouquet. Ce qu'il fit au sortir du château de Nantes où Louis XIV avait réuni son conseil.
 
• On sait que quelques jours auparavant le jeune roi avait été l'hôte de Fouquet dans son merveilleux château de Vaulx pour une fête inoubliable, comme seul un roi devrait pouvoir en donner — si on se glisse dans la tête du roi — crime de lèse-majesté donc, des historiens l'ont vu ainsi.
 
• Pour Simone Bertière, cette fête n'a joué qu'un rôle marginal dans la chute de Fouquet, déjà décidée par le roi, poussé par Colbert, l'homme de confiance du cardinal Mazarin disparu le 9 mars après avoir gouverné le pays au nom de la Régente. Mazarin, jouant le rôle de parrain de Louis XIV, l'a incité à gouverner par lui-même, sans Premier ministre. Au sortir de la guerre intérieure (la Fronde) et de la guerre européenne (contre l'Espagne) les finances de la France sont ruinées ; le surintendant Fouquet avait eu carte blanche pour trouver des ressources coûte que coûte ; il avait multiplié les combines et de probables malversations, s'était enrichi mais d'une fortune fragile et empruntée ; et surtout il avait tendance à “acheter” les gens de la Ville comme de la Cour pour se constituer un imposant réseau d'influences. Il avait même offert de l'argent à Madame de La Vallière : l'une des rares à avoir refusé. Une maladresse de plus de la part de Fouquet. D'où arrestation et procès pour faire un exemple.
 
• Fouquet, selon Simone Bertière, sert de bouc-émissaire au roi qui veut frapper les esprits de telle sorte que ni les parisiens, ni les princes ni les financiers ne se mettent désormais en travers de son chemin. Au lieu de le faire exécuter sans procès à la manière brutale d'un Richelieu, Louis XIV choisit une condamnation en bonne et due forme, par une cour, une chambre de justice spécialement réunie, confiée au vieux chancelier Séguier et à Lamoignon, et concrètement à Olivier Lefèvre d'Ormesson, maître des requêtes et premier rapporteur. Louis XIV et Colbert attendent une condamnation à mort. Mais les juristes profesionnels prennent leur temps ; l'enquête piétine, avec des incursions du pouvoir royal et de Colbert en gros sabots. Colbert est comme par hasard dans la maison de Fouquet à Saint-Mandé quand on y trouve les documents les plus explosifs... Le roi soucieux de limiter les scandales à la cour fait détruire les correspondances secrètes avec des femmes légères qu'on aurait cru sérieuses, et compromettantes aussi pour les bénéficiaires de la générosité intéressée de ce Fouquet qui n'hésitait pas à acheter des charges pour autrui.
 
• Le procès proprement dit se déroule à huis clos mais l'homme qui était haï au moment de son arrestation est devenu un symbole de l'arbitraire, les libelles ont œuvré à la présenter ainsi, les mazarinades n'étaient pas loin et Madame Fouquet a eu la liberté de donner de son mari l'image d'une victime. Fouquet, emprisonné à Vincennes puis à la Bastille, a utilisé sa connaissance du droit pour multiplier les chicanes et les procédures pendant l'instruction comme pendant les audiences. Verdict final le 20 décembre 1664 — une année que les Français d'aujourd'hui associent généralement à autre chose... Au bout du compte Fouquet a gagné : par 13 juges contre 8, il évite l'exécution capitale, il sera banni. Mais le roi aggrave la peine : non pas banni à l'étranger mais à Pignerol, forteresse alors française près de Turin, sans sa femme reléguée à Montluçon. Les hommes qui ont servi Fouquet à Vaulx se retrouvent bientôt à la Cour du roi ; ainsi Lulli et Molière, mais La Fontaine, lui, reste fidèle à son mécène. Louis XIV a eu de la chance : les révoltes populaires n'ont pas eu lieu, les Bonnets Rouges attendront 1675 pour soulever la Bretagne où autrefois Fouquet avait comploté de faire de Belle-Ile une base corsaire et un repère pour conspirer. Fouquet mourra sur sa frontière alpine en 1680 à soixante-cinq ans.
 
• Le livre de Simone Bertière est écrit dans une langue très classique ; elle s'appuie sur les papiers laissés par Lefèvre d'Ormesson puisque le roi a fait brûler les archives du procès ! Mais cela suffit à faire comprendre le fonctionnement d'un procès politique au XVIIe siècle. À réserver aux lecteurs avertis plutôt qu'aux fans des “Trois mousquetaires” de Dumas.
 
 
Simone Bertière. Le procès Fouquet. Éditions de Fallois, 2013, 333 pages.

 

 

Tag(s) : #HISTOIRE GENERALE, #MONARCHIE ABSOLUE
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