Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

 

1961. Pasolini accompagne en Inde Elsa Morante et Alberto Moravia pour commémorer le centenaire de la naissance de Rabindranath Tagore, Nobel de Littérature 1913, qui passe pour être « le plus grand poète indien moderne, mais qui, en réalité n'est guère plus qu'un poète dialectal ». La déception de l'auteur de “Théorème” est vive : « Personne n'a été effleuré par l'idée de proposer un témoignage critique (…) ils se contentaient de se soucier d'apporter un tribut d'affection… » On aurait pu penser que cette déception se serait limitée à cette ”obligation professionnelle” ; or il n'en est rien. Ce n'était pas l'heure du “sentiment océanique” déclenché par le voyage en Inde...
 
Quasiment tout le récit est marqué par l'hostilité de Pasolini envers le pays qu'il découvre. Ce ne sont pas d'entêtantes effluves florales que le voyageur rencontre ici. Pour lui, l'odeur de l'Inde est insupportable : « fétide », très forte, elle « prend à la gorge » ; c'est « une odeur de pauvres nourritures et de cadavre (…) qui donne une sorte de fièvre. » Mais plus que l'odeur, Pasolini qui commence juste alors sa carrière de réalisateur — “Mamma Roma“ est de 1962— donne à voir de multiples images. Celles d'une foule vêtue de « guenilles », de « chiffons », de « vêtements absurdes d'une époque éloignée de la nôtre de plusieurs millénaires». Celles d'édifices « à l 'abandon », proches de la ruine, et l'impression d'être revenu « dans la plaine du Pô, tout de suite après la guerre, quand les décombres des bombardements étaient encore frais. » Telle localité présente « l'habituel amas informe de masures mal adossées l'une à l'autre, de venelles insalubres et de bazars, alignés le long d'une rue méandreuse, derrière les boyaux ouverts des ruisseaux d'écoulement ». L'écrivain qui pourtant n'ignore pas la misère de l'Italie du Mezzogiorno ne voit en Inde que le pire. Il souligne la saleté du Gange où « flottent toutes les immondices et les charognes d'une ville qui, pratiquement est un lazaret, puisque les gens viennent y mourir » ; sa vision macabre s'élargit au pays entier comparant l'Inde à un « énorme Buchenwald ».
 
Son rejet de l'Inde ne s'arrête pas à la civilisation matérielle mais s'étend aux hommes —« Tout Indien est un mendiant »—, et à leur culture. Contrairement à un Tibor Mende qui venait de publier “L'Inde devant l'orage”, Pasolini ne voit pas de perspective un tant soit peu positive pour ce pays. « L'horizon d'une renaissance, fût-elle incertaine, n'est pas même entr'aperçu par cette génération, ni par la suivante… » La faute en revient au « cancer » que sont les castes et « leur conservation est en réalité une dégénérescence ». Dans ce pays où il y a alors « 85 % d'analphabètes », Pasolini est choqué par la spiritualité de l'Inde et spécialement l'hindouisme, « qui est évidemment une religion dégénérée ». Voit-il un homme en prière devant un autel : il lui inspire « une antipathie immédiate ». Le sādhu ne vaut guère mieux : « C'était le saint. Il allait on ne sait où. Il marchait fièrement, nu comme un ver, sa tignasse et son épaisse barbe soulevées par le mouvement de son pas élastique et presque sportif : il se rengorgeait, la poitrine gonflée, sans daigner accorder un regard à ses adorateurs. » De même qu'il ne se « trouve pas bien à l'aise » avec les Indiens musulmans il éprouve « immédiatement une antipathie instinctive à l'égard […] des sikhs en général ». Sans oublier bien sûr, « les bosses répugnantes des vaches errantes » que toute la population respecte. Il rapporte cette anecdote : « Un personnage en vue, appartenant à l'élite dirigeante, de retour d'Angleterre [qui avait] étudié à Cambridge et à Oxford, pour se purifier de tels contacts, dès qu'il était revenu pieusement dans sa patrie, avait bu de l'urine de vache ». Cette Inde repliée sur elle-même après le départ des Britanniques et imperméable à l'Occident n'a donc pas séduit Pasolini. « Je crois même que les Indiens ne sont pas physiquement en mesure d'entendre d'autre musique que la leur ». C'est à ce point ! Bref, pas très attirant pour l'icône romaine. Peut-on vraiment parler de fascination?
 
• Pier Paolo Pasolini. L'odeur de l'Inde. Traduit par René de Ceccatty. Folio, 154 pages.

 

Tag(s) : #LITTERATURE ITALIENNE
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :