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Un an avant ''Génitrix'' on découvre ici Félicité et Fernand Cazenave venus déjeuner chez les Péloueyre : Jérôme le père souffreteux et Jean le fils à qui il faudrait femme et enfant faute de quoi leur fortune reviendrait aux Cazenave, à ce Fernand qu'ils détestent : un républicain anticlérical. Le curé pousse au mariage avec Noémi d'Artiailh, une jolie fille pauvre, bien trop belle pour le fils Péloueyre. «  Les Cazenave ne parurent plus le jeudi et ne manifestèrent leur existence que par mille bruits infamants touchant le tempérament de Jean Péloueyre et certaines particularités qui le rendaient, disait-on, impropre à l'état de mariage ».

Mauriac excelle dans les portraits de ses personnages, ancrés dans leur milieu. À vingt-trois ans, Jean aime aller chasser les pies avec son calibre 24. Comment imaginer « ce petit mâle noir et apeuré devant la femelle merveilleuse » ? Avec « sa chemise de la veille qui était aussi de l'avant veille » il n'est pas très propre sur lui, le jeune homme à marier... « Comme il arrive à beaucoup de baignoires du pays girondin, celle des Péloueyre était pleine de pommes de terres… » Aussi considérant « cette larve qui est son destin » Noémi va-t-elle se marier à contre-cœur, allant jusqu'à dire à sa mère qu'elle préférait entrer au Carmel. Mais « on ne refuse pas le fils Péloueyre ; on ne refuse pas des métairies, des fermes, des troupeaux de moutons, des pièces d'argenterie […] — des alliances avec ce qu'il y a de mieux dans la lande ».

Un mariage qui tourne au naufrage, Mauriac en dessine ici l'un des premiers d'une longue série – les Desqueyroux ne seront pas les seuls ! Facile de comprendre que Noémi n'a pas un don Juan dans son lit ! « Comme dans l'amphithéâtre une vierge chrétienne d'un seul élan se jetait sur la bête, les yeux fermés, les lèvres serrées, elle étreignait ce malheureux ». Voilà le titre expliqué. Jean préfère aller la chasse à la palombe puis à l'église pour reculer l'heure du coucher ! Noémi se flétrit : « le corps de Noémi fuyait le corps de Jean – et Jean fuyait le dégoût de Noémi ». Un voyage de Jean à Paris sous prétexte de recherches historiques et voilà que Noémi revit, resplendit, rayonne quand passe devant sa fenêtre le beau docteur appelé au chevet du fils Pieuchon. À son retour de Paris où il n'a pas plus fréquenté les prostituées que les bibliothèques, Jean montre les signes de la tuberculose qui emporte d'abord son ami Pieuchon.

Les personnages de Mauriac ne sont pas libres, leur destin est tout façonné. Les maladies, les pressions de la famille et de la société landaise, de la religion et de la forêt s'additionnent pour les contraindre, leur ôter leur libre-arbitre. « Veuve admirable », Noémi repousse tout autre sort. « Elle éprouvait que les pins innombrables, aux entailles rouges et gluantes, que les sables et les landes incendiées la garderaient à jamais prisonnière. […] Sa fidélité au mort serait son humble gloire ». Elle ne connaîtrait pas le plaisir dans les bras du beau docteur. « Ainsi courut Noémi à travers les brandes, jusqu'à ce qu'épuisée, les souliers lourds de sable, elle dût enserrer un chêne rabougri sous la bure de ses feuilles mortes mais toutes frémissantes d'un souffle de feu, —un chêne noir qui ressemblait à Jean Péloueyre ».

Sans verser dans le régionalisme, Mauriac est le poète de sa région natale. Il saisit les variations des saisons et insiste sur la période estivale. « Les pins […] forment le front de l'immense armée qui saigne entre l'Océan et les Pyrénées ; ils dominent Sauternes et la vallée brûlante où le soleil est réellement présent dans chaque graine de chaque grappe ». « Les étés d'autrefois brûlent dans les bouteilles d'yquem » et puis en septembre arrive l'heure des cèpes et des ortolans cuisinés dans un vieil armagnac.

 

• François Mauriac : Le baiser au lépreux. Grasset, 1922. 126 pages en poche.

 

 

Tag(s) : #LITTERATURE FRANÇAISE
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