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L'Arabie, à l'époque du Prophète et sous les premiers califes, sert de toile de fond à ces récits qui mettent en scène et célèbrent des femmes d'une époque glorieuse quoique portée à l'intolérance et à la violence. «J'ai appelé "roman" cet ensemble de récits, de scènes, de visions parfois, qu'a nourri en moi la lecture de quelques historiens des deux ou trois premiers siècles de l'Islam » nous dit l'auteur en avant-propos. 

 

De multiples récits montrent ces femmes qui voulurent rester libres, qui n'y arrivèrent généralement pas, qui se dressèrent contre un époux imposé ou contre la nouvelle concubine qu'il voudrait ajouter à son harem. Tel est le cas de Fatima, la fille du Prophète, confrontée au nouveau projet matrimonial de son époux Ali. « Toutes les filles de Mohammed sont de fortes personnalités.» Pourtant, juste après la mort de son père illustre, Fatima se trouve déshéritée par le premier calife… « Fatima, la dépouillée de ses droits, la première en tête de toute une interminable procession de filles dont la déshérence de fait, souvent appliquée par les frères, les oncles, les fils eux-mêmes, tentera de s'instaurer pour endiguer peu à peu l'insupportable révolution féministe de l'Islam en ce VIIe siècle chrétien!» Bientôt la maladie l'emportera. 

D'autres récits sont plus sanglants. Ainsi celui de la princesse yéménite restée anonyme qui fait couper la tête de son époux Aswad, ou celui d'une poétesse restée anonyme — tiens, tiens ! comme c'est bizarre ! — qui « n'en continua pas moins son œuvre orale » après la conversion de sa tribu et qui est dénoncée pour avoir été « l'auteur de nombreuses satires contre le prophète.» Un premier bourreau lui a arraché les dents. Un second bourreau s'est avancé avec une hachette : « la poétesse a eu les mains coupées ». Mœurs d'un autre âge, comme on sait, ça n'existe plus aujourd'hui…

D'autres récits sont plus légers. Prenons l'exemple de Sirin, d'origine copte et venue d'Alexandrie, sœur de Marya la concubine du Prophète. Elle se retrouve épouser un poète fort apprécié du prophète : Hassan ibn Thabit. Elle est alors obligée de s'exprimer en arabe et de gommer son accent étranger. Elle évoque pour son nouvel entourage les riches fêtes d'Alexandrie. Mais : « Comment les gens d'ici pouvaient imaginer tant de richesses, excepté ceux qui suivaient les caravanes, excepté, parmi les dames migrantes, celles qui avaient vécu quelques années en Abyssinie…» Des années plus tard, la voici partie « mourir à Basra, en exilée permanente, protectrice des servantes, des esclaves, des femmes sans appui.» 

Aïcha, Fatima, Zeineb, Safya… Parentes, femmes ou filles du Prophète et de ses compagnons d'armes, ces figures sont toutes évoquées d'après les antiques chroniqueurs dans des récits qui se veulent émouvants et qui sont entrecoupés de "Voix" inspirées, poétiques — signalés par le texte en italique, telles des citations. Comme souvent dans les romans qui visent à faire revivre un lointain passé, le style qui se veut fidèle à cette époque disparue est fréquemment pesant, cérémonieux, privé de spontanéité. Ici c'est aggravé par une sorte de respect religieux. Exemple :

« Enfin, ô ibn Abou Quohaifa, je suis heureux de te savoir allégé de ta charge ! [en fait il est moribond] commence Abderahmane, après avoir salué.

— Le penses-tu réellement, ô Abderahmane ? interroge le calife, taraudé par les scrupules.

— Certes oui, par le Seigneur de la Ka'aba ! (…)

— Hélas, reprend Abou Bekr, comme il serait préférable que le Croyant perde sa tête, perde sa vie, plutôt que de se consacrer aux richesses de ce monde ! Ô toi, le guide du droit chemin, soupire-t-il en s'adressant à Dieu d'un ton désespéré, tu es l'aube pour nos âmes, tu es l'océan pour nos cœurs !» 

Le livre se termine par la liste (cinq pages) des personnages évoqués, à commencer par les épouses du Prophète. Mais il m'est tombé des mains bien avant…

 

• Assia Djebar. Loin de Médine. Albin Michel, 1991. Livre de poche, 311 pages.

 

L'Arabie, à l'époque du Prophète et sous les premiers califes, sert de toile de fond à ces récits qui mettent en scène et célèbrent des femmes d'une époque glorieuse. « J'ai appelé "roman" cet ensemble de récits, de scènes, de visions parfois, qu'a nourri en moi la lecture de quelques historiens des deux ou trois premiers siècles de l'Islam » nous dit l'auteur en avant-propos. 

De multiples récits montrent ces femmes qui voulurent rester libres, qui n'y arrivèrent généralement pas, qui se dressèrent contre un époux imposé ou contre la nouvelle concubine qu'il voudrait ajouter à son harem. Tel est le cas de Fatima, la fille du Prophète, confrontée au nouveau projet matrimonial de son époux Ali. « Toutes les filles de Mohammed sont de fortes personnalités.» Pourtant, juste après la mort de son père illustre, Fatima se trouve déshéritée par le premier calife… « Fatima, la dépouillée de ses droits, la première en tête de toute une interminable procession de filles dont la déshérence de fait, souvent appliquée par les frères, les oncles, les fils eux-mêmes, tentera de s'instaurer pour endiguer peu à peu l'insupportable révolution féministe de l'Islam en ce VIIe siècle chrétien!» Bientôt la maladie l'emportera. 

D'autres récits sont plus sanglants. Ainsi celui de la princesse yéménite restée anonyme qui fait couper la tête de son époux Aswad, ou celui d'une poétesse restée anonyme — tiens, tiens ! comme c'est bizarre ! — qui « n'en continua pas moins son œuvre orale » après la conversion de sa tribu et qui est dénoncée pour avoir été « l'auteur de nombreuses satires contre le prophète.» Un premier bourreau lui a arraché les dents. Un second bourreau s'est avancé avec une hachette : « la poétesse a eu les mains coupées ». Mœurs d'un autre âge, comme on sait, ça n'existe plus aujourd'hui…

D'autres récits sont plus légers. Prenons l'exemple de Sirin, d'origine copte et venue d'Alexandrie, sœur de Marya la concubine du Prophète. Elle se retrouve épouser un poète fort apprécié du prophète : Hassan ibn Thabit. Elle est alors obligée de s'exprimer en arabe et de gommer son accent étranger. Elle évoque pour son nouvel entourage les riches fêtes d'Alexandrie. Mais : « Comment les gens d'ici pouvaient imaginer tant de richesses, excepté ceux qui suivaient les caravanes, excepté, parmi les dames migrantes, celles qui avaient vécu quelques années en Abyssinie…» Des années plus tard, la voici partie « mourir à Basra, en exilée permanente, protectrice des servantes, des esclaves, des femmes sans appui.» 

Aïcha, Fatima, Zeineb, Safya… Parentes, femmes ou filles du Prophète et de ses compagnons d'armes, ces figures sont toutes évoquées d'après les antiques chroniqueurs dans des récits qui se veulent émouvants et qui sont entrecoupés de "Voix" inspirées, poétiques — signalés par le texte en italique, telles des citations. Comme souvent dans les romans qui visent à faire revivre un lointain passé, le style qui se veut fidèle à cette époque disparue est fréquemment pesant, cérémonieux, privé de spontanéité. Ici c'est aggravé par une sorte de respect religieux :

« Enfin, ô ibn Abou Quohaifa, je suis heureux de te savoir allégé de ta charge ! [en fait il est moribond] commence Abderahmane, après avoir salué.

— Le penses-tu réellement, ô Abderahmane ? interroge le calife, taraudé par les scrupules.

— Certes oui, par le Seigneur de la Ka'aba ! (…)

— Hélas, reprend Abou Bekr, comme il serait préférable que le Croyant perde sa tête, perde sa vie, plutôt que de se consacrer aux richesses de ce monde ! Ô toi, le guide du droit chemin, soupire-t-il en s'adressant à Dieu d'un ton désespéré, tu es l'aube pour nos âmes, tu es l'océan pour nos cœurs !» 

Le livre se termine par la liste (cinq pages) des personnages évoqués, à commencer par les épouses du prophète. Mais il m'est tombé des mains bien avant…

Assia Djebar. Loin de Médine. Albin Michel, 1991. Livre de poche, 311 pages.

 

Tag(s) : #LITTERATURE FRANÇAISE, #MONDE ARABE
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