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Le thème de l'immigration n'est pas nouveau en littérature. Il s'inscrit particulièrement dans les œuvres d'auteurs qui ont eux-mêmes émigré ou qui vivent entre deux pays ou deux cultures. Il est très présent d'une manière ou d'une autre, dans le roman contemporain de langue française (par exemple : Murmures à Beoglu de David Boratav, Aux Etats-Unis d'Afrique d'A. Waberi…), de langue espagnole (Déraison d'Horacio Castellanos Moya, Miracle à Miami de Zoé Valdès…), italienne (Vert venin d'Ornela Vorpsi…), mais aussi de langue anglaise (Sept mers et treize rivières de Monica Ali…). À cette liste il faut ajouter le premier roman de Marina Lewycka, elle même née en Allemagne de parents ukrainiens, et vivant en Angleterre.

Ludmilla et Nikolaï ont eu deux filles. L'une, Vera, est née en Ukraine en 1937, l'autre Lewycka-Tracteur.jpegNadezhda — l'espérance — est née dix ans plus tard en Angleterre. Il y a ainsi deux ancrages spatio-temporels et culturels dans ce roman à la fois dramatique et drolatique. Alors que l'action se déroule fin XXe siècle dans une campagne anglaise du Lincolnshire, l'Ukraine à l'histoire tragique est présente comme patrie de la plupart des personnages, sauf de la narratrice, Nadezhda, personnage par qui s'exprime semble-t-il le point de vue de l'auteure. 

« Une brève histoire du tracteur en Ukraine » traite donc de l'immigration, aussi bien légale que clandestine, et du mariage blanc pour acquérir le bon passeport. Mais ce roman ne se limite pas à cette question d'actualité. Il est aussi une saga familiale avec rivalité des deux sœurs et tension entre le père ingénieur et la fille enseignante. Il est également une interrogation sur la proximité du génie et de la folie : l'ingénieur a déposé de nombreux brevets et son rapport à la technologie donne quelques raisons de réjouir le lecteur qui retiendra entre autres l'histoire des "pommes Toshiba".

Revenons à l'incipit. « Deux ans après la mort de ma mère, mon père tomba amoureux d'une séduisante Ukrainienne blonde divorcée. Il avait quatre-vingt-quatre ans et elle trente-six. » Caricaturale bombe sexuelle, Valentina, aux yeux du vieux Nikolaï, a tout de la Vénus de Botticelli. Mais à peine mariée Tina devient une consommatrice exigeante et une peste contre le « tout ramollo » de mari — ce père  fragile que les filles souhaitent voir divorcer au plus vite tout en espérant que la justice britannique procèdera à l'expulsion de l'intruse qui le ruine. Sans surprise, Vera et Tina s'insultent abondamment et la taille de leur poitrine respective sert perfidement d'argument massue dans la discussion.

 Alors que Tina est tombée enceinte, l'arrivée de Dubov, premier mari de Tina et bricoleur comme Nikolaï, va constituer un rebondissement de plus dans ce roman qui cache la tragédie sous un masque de comédie. La langue concourt justement à cette comédie : ces Ukrainiens ne sont pas devenus de parfaits locuteurs de la langue de Shakespeare ! Même si Nikolaï, quand il écrit sa "Brève histoire du tracteur" maîtrise très bien l'anglais écrit, ses conversations, comme celles de Tina, sont exprimées dans un anglais approximatif aux verbes à l'infinitif et aux articles défaillants, — un procédé qui ne manque pas de faire sourire. Bref, une saine détente qui permettra aussi d'initier le lecteur français à l'histoire de l'Ukraine au XXe siècle.

Marina LEWYCKA : Une brève histoire du tracteur en Ukraine

Traduit de l'anglais par Sabine Porte. Editions des Deux Terres, 2008 (Livre de Poche, 2010, 350 pages).

Tag(s) : #LITTERATURE ANGLAISE
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