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Hadachinou, garçonnet d'une douzaine d'années tout juste circoncis, peine à quitter "la compagnie des Tripolitaines": sa mère et ses amies. Très attaché à rester enfant, mais attentif aux bavardages féminins, amateur de contes mais curieux de nouvelles rencontres au fil de ses errances urbaines, Hadachinou ne trouve plus sa place. Cependant sa sensualité s'épanouit et son esprit s'éveille aux conflits, à la violence et aux non-dits de la société libyenne des années soixante. 

Hadachinou n'aime pas jouer avec les autres enfants mais avec des poupées qu'il éventre… "Je ne me vivais pas enfant" confie-t-il ; "j'étais attentif à la découverte de moi-même". Il manque surtout d'amour parental, entre son père "hommes de solitude et de prière indifférent aux êtres qui l'entourent" et sa mère peu affectueuse, qui ne lui raconte jamais d'histoires et le pousse hors de la maison : il est "sa punition" car depuis sa naissance elle est devenue grosse et laide… Dès lors, quand il ne fréquente pas l'école coranique où il s'ennuie, Hadachinou erre dans Tripoli, toujours selon le même "itinéraire intime", entre le cimetière, les terrains vagues et le port. Mais son grand plaisir, c'est la compagnie des amies de sa mère, ses "anges protecteurs"; il aime les suivre, tel "un fauve à l'affût", lorsqu'elles déambulent dans la médina et "se fait invisible pour les écouter" à l'heure du thé. Leurs parfums le troublent, leur présence "éveille dans [son] bas-ventre une chaleur agréable"…

Toutes ont leur histoire et leur personnalité, mais toutes partagent le même discours critique sur les hommes, parfois même d'une insoupçonnable violence. Certaines, telles Zohra et Hiba, battues par leur époux, ne surmontent guère l'image négative qu'elles ont d'elles-mêmes. En revanche, Fella la juive, Tibra la berbère ou Kimya l'africaine ont osé échapper à la vindicte de leur mari et méprisent les rumeurs calomnieuses qui courent à leur sujet. Hadachinou aime leurs rires, leur force intérieure, leur soif de liberté : boire, fumer, ou s'offrir des sucreries en jugeant leurs conjoints : "comme tous les autres, les femmes, ils les haïssent!" Pour Nafissa qui se souvient des femmes violées par les soldats italiens pendant la guerre, tous les hommes sont "fourbes et obéissants lorsqu'ils sont faibles, vicieux et vils lorsqu'ils sont puissants". Mais, dans ces violents conflits de genre, la vengeance n'est pas uniquement masculine : les "femmes mangeuses d'hommes" existent, qui émasculent leur conjoint pour en déguster la verge…

Accompagnant sa grand-mère à la mosquée, Filomena à l'église ou Fella à la synagogue, Hadachinou découvre les trois monothéïsmes ; toutefois, quels que soient les rituels, il n'est guère sensible à l'appel de l'Invisible : à douze ans, il veut connaître ses origines, savoir d'où il vient. "Tu es arabe et musulman" lui déclare le cheik, sans combler ses attentes. Seules Fella et Kimya l'éclairent, alors qu'il "existe sans être". "Il faut chercher sa parole en soi" et non dans l'invisible ; "fixe-toi un but, occupe-toi de choses simples qui t'enchantent et peut-être te découvriras-tu à toi-même".

Écrivain tripolitain installé aux Pays-Bas, K. Ben Hameda ne met pas seulement en scène la difficulté pour un garçonnet de quitter le doux univers des femmes. Il révèle qu'à Tripoli, dans les années soixante, la religion restait une affaire d'hommes. Pour les femmes, l'enchantement du monde naît du désir d'exister que chacun porte en soi.

 

Kamal BEN HAMEDA. La compagnie des Tripolitaines.
Editions Elyzad, Tunis, 2011, 108 pages.

 

 

Tag(s) : #MONDE ARABE
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