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"Les ghettos de la nation. Ségrégation, délinquance, identités, islam" : avec ces six mots-clés lourds de sens, aucun risque de passer à côté de l'actualité ! L'essai de J. Robine utilise les violences urbaines de 2005 pour en venir aux "ghettos urbains" qu'il analyse de manière très détaillée en prenant exemple des quartiers défavorisés de Grigny et de Clichy-sous-Bois : cet exercice de Robine-ghettosgéographie, cartes à l'appui, lui permet de dénoncer les architectes —parfois très renommés— dont les créations sont à l'origine de ces négations de la vie urbaine et participent à l'aggravation des problèmes de la population résidente. L'enclavement des habitants de Clichy-sous-Bois se mesure au quotidien en temps de transport excessif vers les zones d'emploi, tandis qu'à la Grande Borne, l'habitant de Grigny, déjà coincé entre autoroute A6 et prison de Fleury-Mérogis perd son temps à rejoindre à pied son bus, sa gare ou sa voiture. Après cet exercice de géographie urbaine, l'auteur recherche dans les faiblesses politiciennes des Trente Glorieuses la répartition inégale des grands ensembles dans les périphéries urbaines : toutes les communes n'ont pas voulu avoir leur part d'un habitat social où les populations immigrées se trouvent devoir se loger en nombre croissant. Après quoi l'on voit dès les années 70 un ministre comme Chalandon prophétiser les déboires que l'urbanisation mal dirigée ne manquerait pas de provoquer : les plus "riches" se dépêchant de quitter les HLM laissant aux familles nombreuses immigrées de vastes appartements selon le standard des familles françaises — dont la taille se réduisait. Bientôt, l'arrivée au pouvoir de Mitterrand en 1981 a prétendu lancer la solution au chômage et à la crise urbaine. On connaît la suite : ces deux maux n'ont fait qu'empirer, accentuant les tensions entre Français de "souche" et Français "issus de l'immigration" pour le profit du Front national. L'auteur n'oublie pas les répercussions des événements mondiaux qui sont intervenus à certains moments, comme la Guerre du Golfe en 1991 ou les attentats d'al-Qaïda. L'auteur décrit les organisations qui en France ont cherché à lutter contre les représentations négatives des immigrés, contre la stigmatisation qui vise tout particulièrement Arabes et Noirs, et le racisme dont ils ont été les victimes. On revit ainsi pleinement l'aventure de la Marche des Beurs, l'histoire de SOS-Racisme ou d'ACLEFEU, un peu moins celle de Ni-Putes-Ni-Soumises —tiens c'est curieux—, et jusqu'à l'appel des Indigènes de la République qui a marqué ces dernières années quand les querelles de mémoires firent rage. L'ouvrage se termine sur un examen des "post-colonial studies", assez fortement critiquées en reprenant les interprétations d'Yves Lacoste, spécialiste bien connu de géopolitique, un domaine qui est aussi celui de Jérémy Robine. Selon ses convictions ou sa formation, le lecteur sera évidemment plus attiré par une partie ou une autre. On peut regretter que la place des femmes soit assez peu prise en considération — probablement parce que l'auteur souligne en passant que les "beurettes" réussissent mieux que leurs frères "issus de l'immigration". Par ailleurs il est manifeste que l'auteur se fait très discret sur les questions liées à l'islam et plus encore sur les difficultés scolaires. Mais c'est déjà beaucoup de richesses à découvrir dans un livre d'à peine plus de deux cents pages... qui conclut en espérant un compromis entre la nation et la diversité.

« Pour éviter le délitement de la cohésion sociale, la destruction des ghettos est indispensable, et elle passe en partie par une politique de la ville d'une tout autre ampleur. Tant que la séparation est inscrite dans le territoire, elle ne peut que se propager dans les esprits. Il s'agit de sortir une fois pour toutes de l'illusion qu'il serait possible de vivre dans des environnements inventés par des architectes, aussi géniaux soient-ils. Les questions urbaines ont déjà assez largement été un champ d'expériences sociales, et il est plus que temps de résoudre les problèmes concrets, comme le fait que la Grande Borne ou Clichy-sous-Bois ne sont pas des villes, car une ville, en Europe, est composée de rues, de trottoirs, et d'immeubles ou de petites maisons, jointifs ou presque, variés et donnant sur ces trottoirs, avec un centre...» (Extrait de la conclusion).

Jérémy ROBINE  -  Les ghettos de la nation. Ségrégation, délinquance, identités, islam. Vendémiaire, 2011, 219 pages.

 

Tag(s) : #SCIENCES SOCIALES
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