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Professeur d'histoire de la philosophie, D. Kambouchner se positionne à contre-courant des discours actuels sur la crise de l'école française. À quelle condition pourrait-elle redevenir une institution efficace? Si elle retrouvait ses principes fondateurs. Quel est son objectif? Que doit-on y enseigner, par quels moyens et dans quel but ? Autant de questions philosophiques pour l'auteur.Kambouchner-Ecole.jpeg

La culture de l'esprit s'est perdue depuis la massification mal préparée de l'enseignement dans les années 60 : l'école n'a pas su trouver les voies pour faire passer les savoirs à de nouveaux groupes sociaux.

On bavarde en vain à propos des rythmes scolaires, de la violence et de l'utilité pédagogique du numérique ; pure illusion car il reste un simple outil, inefficace contre l'échec scolaire et qui décharge les professeurs de l'essentiel : la relation de parole directe avec les élèves qui fixe les règles, incite à la découverte et à l'exercice du jugement personnel. C'est un faux problème selon l'auteur que de chercher à susciter le désir d'apprendre : tous les élèves l'ont spontanément ; reste à ne pas le décourager "s'ils pensent être là pour quelque chose qui en vaut la peine". Et de citer en exergue Érasme : "Nul ne tourmente davantage les enfants que ceux qui n'ont rien à leur enseigner". C'est le coeur de la question : si les professeurs offrent à leurs élèves un "horizon", un projet, ils chemineront sans rechigner de l'exploration à l'appropriation des connaissances proposées. Hélas on cultive à l'inverse "l'illusion ruineuse" que l'élève puisse construire seul ses propres savoirs. L'atomisation des enseignements, des méthodes et des procédures entrave cette appropriation cognitive. Tout n'est que zapping et l'institution scolaire devient "une machinerie implacable d'évaluation et de rejet". Il y a urgence à substituer à cette école qui classe "une école qui offre et qui pourvoit", qui nourrit.

Pour Kambouchner, le "socle commun de connaissances" n'est qu'un trompe-l'oeil : il ne vise qu'à l'enseignement des savoirs utiles à l'employabilité future des élèves. De même, les savoirs-faire, les "compétences": ce sont elles "qui priment (…) et que la formation scolaire doit partout cultiver". Or on ne peut séparer le souci de la réussite des élèves de la transmission des savoirs fondateurs. L'élève ne peut se les approprier que s'ils font sens par leurs interconnections logiques. L'auteur tient à rappeler quelques vérités oubliées : le "bon prof" n'est pas seulement soucieux d'enseigner mais aussi d' éduquer ; en bon "conducteur" il sait "allécher l'appétit", écouter et satisfaire les attentes de ses élèves, sans que soit contestée son autorité. Il a souci de leur offrir le meilleur quels que soient leur âge ou leur filière. Kambouchner se montre très critique envers la conception bourdieusienne de la culture de classe.

Mais il signale aussi, dans ses "arrière-plans", les racines plus anciennes de l'actuelle crise de l'école française, chez Rousseau par exemple. Pourtant il reste à ses yeux des maîtres pour notre temps, comme Montaigne et   Érasme : pour lui, retrouver l'enfant en soi –"repuescere"–, considérer l'élève comme un semblable et savoir se mettre à sa hauteur c'est le fondement de tout projet d'enseignement.

Nos sociétés ne savent plus ce qu'elles attendent de l'école parce que l'institution scolaire elle-même a oublié son rôle : favoriser l'élaboration de l'esprit des élèves –l'ancienne maïeutique–, en leur proposant des formes et des contenus qui fassent sens au fil de leur scolarité. Il n'y manque que des professeurs passionnés de faire partager le savoir, convaincus de leur "mission" de passeurs.

• Denis KAMBOUCHNER : L'École, question philosophique. Fayard, 2013, 354 pages. 

 

Tag(s) : #EDUCATION, #ESSAIS
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