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Avec "Congo - Une histoire", David Van Reybrouck a réalisé l'exploit de réunir toute l'histoire du Congo depuis la période pré-coloniale jusqu'à nos jours. Pour cet ouvrage écrit entre 2003 et 2010 l'auteur ne s'est pas contenté de "tout lire" sur le sujet, il y a ajouté la judicieuse utilisation d'une multitude de témoignages oraux recueillis sur le terrain au cours de dix séjours au Congo et qui rendent le récit captivant. Ses interlocuteurs appartiennent à tous les milieux, certains sont centenaires, d'autres ont été enfants soldats, certains vivent dans des bidonvilles, d'autres voyagent à l'étranger, certains brassent des affaires florissantes, d'autres sont dans la misère ou ont été maltraitées. Feuilletons rapidement ce livre...

 

 

Avant 1914.

Bien avant d'être colonisé, le Congo du XVIe siècle a plongé dans la mondialisation initiée par les Portugais : le régime alimentaire fut modifié par l'introduction du manioc et du maïs. Alors que la traite atlantique venait de cesser, le bassin du Congo était encore parcourue par les esclavagistes quand Stanley traversa le pays et rencontra Livingstone. Le roi Léopold II établit son emprise sur le pays dès 1885 et suivit le temps de l'ivoire et du caoutchouc. Des Congolais très âgés évoquent l'arrivée des missionnaires qui traitaient les fétiches comme « une immonde saloperie ». De ce temps il reste la statue de Stanley jetée sur la ferraille de son bateau dans un cimetière d'autobus de Kinshasa.

« La Belgique prit sa tâche de colonisateur au sérieux » explique Van Reybrouck. La médecine tropicale lutta contre la malaria, la fièvre noire, le typhus... Dès avant 1914, un "Bureau international d'ethnologie" étudia le Congo constituant « une encyclopédie des races noires ». Mais l'ethnologie figea les caractéristiques ethniques, et inventa le tribalisme qui sera une catastrophe. Les géologues,eux, découvrirent le « scandale géologique » : zinc, cobalt, étain, or, diamant, tungstène, manganèse, tantale, uranium, etc... On construisit des voies ferrées pour exporter les minerais du Katanga. Les Noirs devinrent ouvriers, logés dans des camps où la tuberculose sévit.

 

De la 1ère guerre mondiale à l'Indépendance

En 1914, les Allemands attaquèrent au lac Tanganyika et tentèrent d'envahir le Kivu ; ils furent repoussés. La domination belge sortit du conflit renforcée par la tutelle sur le Rwanda et le Burundi. Entre les deux guerres, des religions naquirent. La plus connu est celle fondée par Simon Kimbangu que le colonisateur prit pour un rebelle. Condamné en 1921 le prophète mourut en 1951 au bout de trente ans de prison, deux ans de plus que Nelson Mandela ! D'autres cultes avaient surgi : comme le ngunzisme, ouvertement anticolonial, puis le mpadisme, le kitawala, etc. Suite à la crise de 1929 qui fit chuter les cours des matières premières, la révolte pende conduisit aux troubles les plus graves de la période. La Force publique congolaise participa à la Seconde guerre mondiale : en 1942 les troupes noires attaquèrent les Italiens en Ethiopie avec succès.  En 1945, l'uranium du Congo permit à l'Amérique de larguer la bombe sur Hiroshima. De 1946 à 1956 le Congo connut la tranquillité tandis que Noirs et Blancs vivaient de plus en plus séparés. Les « évolués » étaient rares : le colonisateur freinait l'enseignement au-delà du primaire. Van Reybrouck pourtant en a retrouvés, comme Victorine N. « première femme congolaise à avoir le permis de conduire » — c'était en 1955. Beaucoup d'entretiens témoignent de ces années marquées par l'agitation politique croissante. Kasavubu, à la tête de l'Abako (association de défense de la langue bakongo) lança un manifeste indépendantiste qui fit l'effet d'une bombe. Tandis que la jeunesse branchée se divisait entre les "moziki" et les "bills" – les unes à la mode pour aller danser, les autres habillés comme des cow-boys.

 

L'Indépendance et ses lendemains

En 1958, quelques Congolais firent le voyage de Bruxelles pour l'Expo : parmi eux un journaliste du nom de Joseph-Désiré Mobutu. Bientôt Patrice Lumumba réunit des foules scandant "Dipenda, dipenda" (indépendance en lingala). Le 1er juillet 1960 on dansa "Independance cha-cha" mais l'avenir ne fut pas rose. « La Force publique n'avait pas un seul officier noir. Il n'y avait pas un seul médecin indigène, pas un seul ingénieur, pas un seul juriste, agronome ou économiste.» Sans expérience, les nouveaux dirigeants se déchirèrent. « Le pays se décomposa, fut confronté à  une guerre civile, à des pogroms ethniques, deux coups d'Etat, trois rébellions et six chefs de gouvernements dont certainement deux et peut-être même trois furent assassinés : Lumumba, tué d'une balle en 1961 ; Kimba, pendu en 1966; Tshombe, trouvé mort dans une cellule de prison en Algérie en 1969. Même le secrétaire général des Nations Unies, Dag Hammarskjöld, perdit la vie dans des circonstances qui ne furent jamais élucidées...»  L'auteur fait découvrir les maquis de Pierre Mulele ou encore les origines de la rébellion anti-Mobutu de Laurent-Désiré Kabila dont les fanatiques soldats simba se croyaient protégés par les grigri de la féticheuse Mama Onema. De passage en 1965, Che Guevara nota dans son Journal qu' « au Congo étaient réunies toutes les conditions contraires à la révolution ».

 

De Mobutu au XXIe siècle

Mobutu avait pris le pouvoir le 24 novembre 1965 et entrepris de redresser l'ex-Congo belge devenu Zaïre – avec un certain succès jusqu'en 1975–, l'apogée en fut le match de boxe opposant Mohamed Ali à George Foreman. Puis vint la dérive du pouvoir personnel, la lutte contre l'Eglise, des slogans comme "Recours à l'authenticité", le port de l' "abacost" inspiré du costume Mao, les "postnoms" – Joseph-Désiré Mobutu devenant Mobutu Sese Seko etc... En même temps Mobutu mit la main sur l'économie, redistribuant les entreprises à ses proches, sans égard aux compétences. Le Zaïre s'endetta de plus en plus, la monnaie fut ruinée par l'inflation, mais les avoirs de Mobutu à l'étranger ne cessaient d'augmenter. À « la vanité sans bornes de Mobutu » l'auteur oppose l'obstination et le courage d'Etienne Tshisekedi qui aurait pu être le sauveur du pays quand Mobutu dut s'enfuir après avoir fait croire en 1990 à la démocratisation du pays ; mais il n'y eut que pillages et guerres civiles, surtout dans l'Est (Ituri et Kivu). Sous Kabila père et fils les troubles sanglants continuèrent, suite au génocide des Tutsis et à la fuite des Hutus dans l'espace congolais : la "Seconde Guerre du Congo" est le conflit le plus meurtrier depuis 1945. L'auteur décrit, en se fondant sur de nombreux témoignages, les interventions guerrières du Rwanda, de Kagame et de ses amis, tel Laurent Nkunda, connus pour recruter des enfants soldats, les "kadogo", afin de pourchasser les Hutus et ensuite exploiter les gisements miniers. Faute d'efficacité de l'Etat, les ONG tentent de soigner au mieux une population qui a connu une forte chute de l'espérance de vie depuis l'indépendance. Faute de bonnes finances, c'est l'ONU qui finance Radio Okapi « seul média national du Congo ». Faute d'autorité de l'Etat, le Congo est un pays où l'on vient se servir ; c'est le tour des Chinois depuis peu.

 

• Trop de politique dans ce livre ? L'ouvrage, certes, ne dispense pas de visiter le musée Dapper ou celui de Tervuren car il ne traite pas de l'art traditionnel, mais au détour de considérations politiques, il évoque aussi bien l'urbanisation que la décrépitude des infrastructures, ou encore l'évolution de la culture musicale depuis la rumba congolaise et les tubes de Papa Wemba jusqu'aux concerts de Werrason subventionnés par la bière Primus ! Un livre qui fera date, comme a fait date le voyage de Gide au Congo...

 

• David Van Reybrouck : CONGO. Une histoire. - Traduit du néerlandais par Isabelle Rosselin. Actes Sud, 2012, 711 pages.

Tag(s) : #HISTOIRE 1900 - 2000, #AFRIQUE, #CONGO
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