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Un ou deux coffiots à débrider, des gagnantes à placer au bobinard, et des malfaisants à faire taire. Le programme se complète d'abondance par les séances d'animation au paddock, les pokers dans les clandés, et les roteuses sur le zinc. Avec Max le fourgue et le Gros-Pierrot, avec Paulette qui tient l'Océanic, avec une pléiade d'autres truands, c'est tout un monde millésimé 1929.


Demi-sels et demi-mondaines


Il y a aussi des jeunots. D'abord  celui que présente l'incipit : « D'un coup de châsses en chanfrein, Petit-Paul frimait le garçon. Incliné à quarante-cinq degrés pour verser le caoua, ce loufiat lui apparaissait, l'heure de la tortore révolue, et celle de l'addition approchant, beaucoup moins débonnaire qu'il n'avait semblé au moment des hors-d'oeuvre. Mis en relief par la lumière rasante de la lampe fanfreluchée posée sur la table, l'implantation basse des crins raides sur le front, les sourcils broussailleux, et les méplats des maxillaires taillés comme à la hache, évoquaient l'homme des bois.»

Peu auparavant, Ludo a écorné le capital financier d'Irène, 38-40 piges, une élégante richement entretenue de la rue Fortuny. Elle est la marraine de son fils Johnny, élégant ambitieux qui jacte english avec accent amerloque. Avec Petit-Paul, marlou de banlieue, il va former une fine équipe jusqu'à la fin de cette trilogie de la "Série noire" de Gallimard, (Le Hotu, 1968, Le Hotu s'affranchit, 1969, Hotu soit qui mal y pense, 1971). Trilogie heureusement reprise ici en un volume, véritable roman de formation pour le mitan du truandage. « Messieurs les Hommes » qui ont fait de l'Océanic leur quartier général ont quelque réticence envers ce Johnny aux belles manières. Ils l'ont surnommé le Hotu, « un blaze infamant » puisque c'est un poisson d'eau douce également appelé "naze". Mais le débutant va devenir un vrai demi-sel en compagnie de Petit-Paul rebaptisé Paulo dès leurs premiers succès. « Pour la première fois depuis qu'il existe, Petit-Paul a la révélation de l'avenir ! Il s'est jusqu'alors, il le découvre, laissé porter par les circonstances, comme un bouchon au gré des vagues se ballotte sur la mer. Grâce au grand, cette longue période végétative est close.»

On ne lira pas sans doute ce roman pour l'intrigue qu'on peut résumer en quelques phrases. Deux amis empruntent des voitures et draguent des filles qu'ils emmènent au Bois. Ils commettent quelques larcins, fréquentent des établissements pas tous sélects et se voient déjà devenir des macs et des rois de l'arnaque. Un cambriolage qui tourne mal les amène à se mettre au vert pour plusieurs mois : Paulo est avantageusement hébergé par Irène et Johnny échoue au Pays Basque, côté Alphonse XIII, en quête d'arnaques pour user le temps. Au retour, la Packard se trouvera chargée d'une marchandise illicite à écouler. Coups foireux et fusillades en perspective, ce dont Johnny se sortira avec panache.

Ces romans nous plongent dans le milieu et ses usages voire dans toute une époque, celle de 1929. Les truands portent des noms imagés — Dédé le Spahi, Jo l'Anguille, Gégène le Bombé… Nombreux sont les personnages dépeints avec verve — « Détonnant un peu sur ces paisibles, deux barbiquets de banlieue, gapette torpédo, bénard à la mal au bide et pompes marseillaises deux tons…» — et les belles voitures d'époque sortent des carrossiers comme les mondaines bien financées sortent des bijouteries de la place Vendôme. L'argent est roi et le vocabulaire monétaire est des plus variés : bardas, biffetons, tickets, talbins, etc. La richesse du vocabulaire est encore plus développée quant aux choses de l'amour, surtout physique et vénal. Il faut rappeler que la loi de 1946 a fermé les maisons de passe, claque, bobinards, bordels, etc. En conséquence, c'est une époque disparue que celle du "Petit Tabarin" de Doudou le Nantais, ou de l'établissement de luxe de Gros-Pierrot où a trépassé le Président.


Ouverture internationale et crise de 1929

 

Ce n'est pas la mondialisation mais l'ouverture des frontières est envisagée et crainte. « La carrière internationale, tout le monde en a rêvé à ses débuts… Mais croyez-moi, c'est pas de la soie ! La langue qu'on entrave mal ! Les condés qu'on connaît pas ! Les truands en place dont on ignore la cote ! les vicieux qu'ont l'air de caves, les caves qu'ont l'air de vicieux ! le code qu'est comme du chinois !…» Le Johnny n'a pas ces préventions : il connaît l'anglais, ce qui l'a rendu suspect aux yeux de « Messieurs les Hommes », les petits truands sans envergure, clientèle habituelle de l'Océanic. « Bien sûr,  y  a des exemples de réussites … des mecs avec des blazes d'épopée… Dédé l'Argentin ! … Jo de Sydney ! … Fred de Shanghaï ! … Lulu le Brésilien! …» Cet exotisme un peu désuet vaut aussi pour la main–d'œuvre immigrée ! « Celui que la bignole désigne comme étant M. Peter, le propriétaire du fonds de fleuriste, serait balte, titulaire d'un passeport Nansen ; son chauffeur, le gorille flingueur, protégé français du Levant ; quant au vieux, son passeport espagnol renifle à ce point le faux que mieux vaut n'en pas tenir compte.»

La crise qui démarre va stopper cette immigration bigarrée. La bourse chute réduisant les placements et la consommation. Le champagne cède devant les « boissons de base, Byrrh-cassis, Dubonnet-fraise, Picon-menthe…» La patronne d'un bar le constate : « le temps va revenir vite, où elle sera contrainte à nouveau de faire du crayon à ces messieurs, que la crise affecte beaucoup, par gagneuses interposées, le micheton se faisant rarissime. Déjà Doudou le Nantais a procédé à un délestage, envoyant Crevette en mouler à Oran…» C'est déjà le repli sur l'empire cher à l'historien Jacques Marseille !

Comme on le voit, le langage est imagé, marque de fabrique obligée du polar à la mode d'Albert Simonin. Il pleut de la métaphore et pas uniquement pour adultes ; j'aime beaucoup ce constat du déclin : « en plein sur le toboggan, en glissade vers le plus bas…» Avec « de quoi garnir trois colonnes de faits divers dans les canards !…» on comprend très bien que l'arme qu'emprunte le Hotu est dangereuse... Et cette propension à remplacer les substantifs par des adjectifs donne aussi un ton particulier à l'écriture de Simonin : un malfaisant, un inquiétant, et « tous les vaillants qui marchent au combat…»  Un monument à découvrir et à sauver de l'oubli ! Attention : patrimoine national.

Albert SIMONIN
Le Hotu
La Manufacture de Livres, 2009, 510 pages.

 

Tag(s) : #LITTERATURE FRANÇAISE
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