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❋  Né à Kiev le 18 mars 1932, l'année de la famine que Staline infligea à l'Ukraine, Gorenstein fut orphelin tout jeune. Son père fut liquidé en 1935 comme ennemi du peuple et sa mère mourut de tuberculose en 1943. Dans les années 50, il étudia à l'Institut des Mines de Dniepropetrovsk puis se mit à écrire des récits. Même si son père fut réhabilité sous Khrouchtchev, il ne put faire publier qu'un seul texte en URSS, en 1964, une nouvelle intitulée "La maison à la tourelle", et il se trouva donc longtemps contraint à écrire pour son tiroir, selon la formule consacrée. Sa participation au projet d'almanach littéraire "Métropole" avec une pléïade d'auteurs russes comme Axionov, se heurta à une censure impitoyable. Il dut émigrer et s'installa à Berlin-Ouest en 1979. Ses ouvrages ont donc paru en quasi-totalité en Allemagne. C'est ainsi que "Le Rachat" fut édité en Allemagne en 1979 dans sa version originale russe.

❋  Peut-être plus connu comme scénariste de « Solaris », d'après Stanislas Lem, tourné par Andreï Tarkovski en 1972, que comme écrivain, Friedrich Naumovitch Gorenstein est pourtant l'un des principaux romanciers russes de la fin du XXe siècle. Son thème de prédilection concerne l'identité juive en Russie. Il s'élargit à l'antisémitisme en URSS et à l'antistalinisme, accompagnant ses réflexions de références bibliques et de considérations métaphysiques. Son œuvre sans doute la plus connue est « La Place », un gros roman écrit entre 1969 et 1972 et traduit en français dès 1991 : cette "place" est d'abord celle que Gocha, le personnage principal, mi-juif mi-slave, trouve dans un dortoir quand il revient à Moscou après des années passées au goulag, c'est ensuite celle qu'il cherche à retrouver dans la société soviétique.

❋  « Le Rachat » nous ramène dans la Russie de décembre 1945, en ruines sous la neige et le froid mais victorieuse, et se prolonge en 1946-1947 dans un cruel contexte de famine. L'auteur insiste sur les ruines matérielles, les pertes en vies humaines, les pénuries alimentaires qui s'aggravent malgré la victoire, et puis les poux qui énervent tant Sachenka. Ce contexte pousse à la haine entre voisins, d'autant que, la paix revenue, les affreux secrets du temps de l'occupation allemande resurgissent. A cette époque, une famille juive avait été massacrée et sommairement enterrée dans une fosse proche des immeubles d'habitations où vivent la plupart des personnages, tandis que les Allemands opéraient non loin de là des massacres à grande échelle.


« — C'est Chouma l'Assyrien qui les a bousillés, fit l'autre en soufflant. Le cireur de bottes… Il a enveloppé une brique dans un journal, leur a fracassé le crâne avec en plein jour et les a tirés jusqu'au trou : la fille qu'avait seize ans, la mère, Léopold Lvovitch, et le gamin qu'avait cinq ans. (…) C'te famille , elle est restée là quatre jours, entassée les uns sur les autres, Chouma nous défendait de la sortir pour que tous les voisins, il disait, puissent leur verser leurs seaux de toilette dessus et jeter leur saloperie. Tout le monde le craignait, vu qu'il était engagé comme Polizei…»


❋  Ne pouvant ignorer ces crimes, les principaux personnages du roman sont amenés sinon à les expier du moins à les racheter — d'où le titre du roman. Au centre de l'action la jeune Sachenka, 16-17 ans, qui en veut à Catherine sa jeune maman d'héberger deux mendiants, Olga et Vassia — peut-être un ancien collabo lui aussi — , d'avoir pris comme amant Fiodor le tankiste handicapé, de vivre de rapines à la cantine de l'armée, elle dont le mari fut un pilote héroïque de la guerre. En se rendant à la gare, puis à un bureau pour dénoncer sa mère, Sachenka a rencontré Auguste, un jeune lieutenant avec qui elle va vivre une brève aventure amoureuse alors qu'il est chargé d'exhumer les restes des Lvovitch qui sont ses parents. Les exhumations se déroulent de nuit ; le lieutenant a sous ordres des prisonniers politiques, comme Pavel, exclu de l'Université, et qui discute avec lui du sort tragique des Juifs avant de se replonger dans une dernière lecture de Spinoza. 


« Le châtiment, la vengeance sont à portée de n'importe qui, explique le professeur, mais le rachat ne l'est qu'à celle des justes au côté desquels se range la vérité. »


❋  Sa mission remplie, Auguste part vers une autre affectation. Quand reviendra-t-il ? Quelques mois après son départ, Olga, Catherine et Sachenka mettent au monde chacune une fille… Je ne déflore en rien l'histoire : c'est la 4ème de couverture qui en dit trop. Gorenstein est mort à Berlin en 2002.


• Friedrich GORENSTEIN : Le Rachat
Traduit du russe par Lily Denis. Gallimard, 1988, 198 pages.

 

 

Tag(s) : #LITTERATURE RUSSE
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