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Publié par les Presses de l'Université de Yale en 1981, ce classique de l'histoire ancienne m'est venu sous les yeux alors qu'ARTE diffusait sa série sur l'Apocalypse — où l'on fait brièvement appel à son brillant auteur : il n'y a pas de hasard.

L'historien américain Ramsay MacMullen (né en 1928) s'est en effet particulièrement intéressé au polythéisme gréco-romain et à sa défaite face au Christianisme. Dans cet ouvrage publié aux PUF il y a plus de vingt ans, l'auteur suit un plan original : d'abord les aspects manifestes, avec une tendance à en réduire le volume par rapport à ses devanciers, ensuite et plus longuement les aspects problématiques de son sujet, qui tient tout entier dans le titre : le Paganisme dans l'Empire romain. Les IIe et IIIe siècles sont au coeur de l'ouvrage, avec évidemment une extension au IVe siècle, puisqu'à ce moment, le paganisme, traditionnellement soutenu par les élites urbaines et cultivées, est loin d'avoir épuisé ses forces.

Quasiment du jour au lendemain, le Paganisme qui la veille encore  régnait en maître, se trouve combattu sous la Tétrarchie par les successeurs de Constantin ; en trois quarts de siècle le christianisme va devenir à son tour dominateur et bientôt destructeur du paganisme. La tolérance a disparu…

Pour montrer que le paganisme n'est pas mort de vieillesse dans les années 300, ce travail très érudit repose sur la lecture d'auteurs — Celse et Origène, Porphyre, Plutarque, Apologistes chrétiens —  sur les hymnes religieux dédiés à diverses divinités, sur l'archéologie, et tout particulièrement sur les inscriptions grecques et latines ce qui nous fait visiter presque tout l'Imperium et particulièrement les provinces orientales. Ramsay MacMullen dénonce les interprétations hasardeuses faites par certains de ses prédécesseurs, trop prompts à généraliser à partir d'une inscription isolée, ou trop catégoriques quant à l'essor des cultes orientaux à cette époque. Ainsi en est-il du célèbre Franz Cumont, dont les travaux sur "Les religions orientales dans le paganisme romain" (1929) et a fortiori "Les mystères de Mithra" (1902) deviennent ici des victimes expiatoires alors qu'aujourd'hui ces travaux sont réédités en anglais en 2007 et 2008. «Exprimée ainsi, l'unité sous-jacente à la notion de "religion orientale" s'effondre. L'idée que c'est autour de l'an 300 que les cultes orientaux ont exercé leur influence la plus profonde est encore plus indéfendable...» (p.200-201). En revanche, il semble bien qu'un intérêt croissant pour l'irrationnel se soit alors manifesté dans toute la hiérarchie sociale.

 


Pratiquant l'art derridien de la déconstruction avec une magistrale habileté, Ramsay MacMullen arrive très vite à nous persuader, mieux à nous convaincre, que nous ne savions pas grand chose du Paganisme dans ce vaste empire. Bien évidemment on a fait le tour des dieux, des oracles et des grands temples qui reçoivent touristes et fidèles. Jupiter-Zeus domine un bataillon de divinités qui ne sont pas toutes connues partout. Si Saturne tient l'Afrique, Cybèle — à qui il convenait de s'adresser en grec même en Italie — est bien installée à Ostie et à Rome, de même qu'Isis. On découvre aussi quelques dieux dont l'influence était plus locale et l'arrivée massive des cultes païens dans les provinces danubiennes. Ici et là, les commerçants ont apporté avec eux leurs dieux faisant croire à des conversions massives dans les provinces où ils s'installaient. Les militaires, à proximité du "limes" vénèrent toujours des dieux qui ne semblent pas les plus chers aux autochtones.

 

Le Soleil, Sol invictus, alias Helios, a bénéficié de l'intérêt de plusieurs empereurs — Antonin, Commode, Septime Sévère, Gordien voire Licinius —, mais l'auteur n'a pas fait de son ouvrage une chronique des politiques de chaque souverain. Les grands temples ont reçu des extensions, de nouvelles dédicaces, jusqu'au IIIe siècle. Une courbe figurant "les inscriptions attribuables aux fidèles d'Isis" due à Mrozek (Epigraphica, 35, 1973) montre une ascension jusqu'au règne de Septime Sévère et une chute après Caracalla, pour retrouver dans les années 268-284 une quasi-absence comme sous Auguste et Tibère.

 

La crise, qui explique cette chute des inscriptions plus que celle de la vénération des idoles, serait à mettre sur le compte — comme la crise du patronage (ou évergétisme) — de la pression fiscale sur les villes et les riches, et sur l'appauvrissement de certaines régions, voire sur des effets de modes, pas nécessairement sur un engouement pour le christianisme. « La plupart de ceux qui avaient autrefois financé les fêtes et les temples au niveau local ne pouvaient plus, en ces temps difficiles, rassembler les fonds nécessaires.» Dans cette société traditionnellement hostile au monothéisme — «l'unicité d'un dieu offensait les fidèles des autres divinités ». Avant l'organisation du concile de Nicée par Constantin les chrétiens ne semblaient pas bien gênants pour les païens, confortablement majoritaires encore à la fin du IVe siècle.

Ramsay MACMULLEN
La Paganisme dans l'Empire romain

Traduit de l'anglais par  Alain Spiquel. PUF, 1987, 323 pages. (p.200-201)

 

Tag(s) : #HISTOIRE GENERALE, #ANTIQUITE
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