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Voici un authentique roman de réalisme social. Sans ménager son lecteur, Faïza Guène le précipite "in media res": on découvre un matin le patron du bar "Le Balto" éventré au couteau. Les gendarmes enquêtent — que nul ne s'y trompe, ce n'est pas un roman policier. Car si "les gens" interrogés finissent par se souvenir de ce qu'ils ont fait la nuit du meurtre, ce n'est pas à leurs yeux un événement. Joël Morvier « personne l'aimait ce mec…(…) Personne va le regretter.» C'était « une sacrée grosse merde » qui « transpirait le racisme.» L'événement, en revanche, c'est que les gendarmes viennent écouter chacun, lui portant attention : chacun leur confie son mal être et ses rêves ; chacun redécouvre le sentiment d'exister pour autrui.

Faïza Guène ne donne pas la parole aux policiers, seulement aux personnes interrogées, se glissant en chacune, chapitre après chapitre. Entre leurs dépositions, pour "faire vrai", l'auteure insère même deux articles de localiers, deux pastiches réussis. Juste pour retenir l'intérêt du lecteur qu'elle désoriente en permanence. Car les "gens du Balto" ont leur parler, comme les personnages de Zola ou de Céline : une gouaille populaire et crue, que les jeunes émaillent de verlan ou d'anglais. Et tous ont droit à la parole, même le mort. Cette prosopopée détournée révèle l'intérêt de ce roman : c'est de leur existence que tous témoignent, non du crime.
« Vous ne foutrez sans doute jamais les pieds » à Joigny-les-deux-Ponts prévient le patron décédé ; car c'est une non-ville provinciale, suintante d'ennui balzacien, où les fins de mois sont difficiles. Alors le Balto, avec son « odeur de bière et de chômage » c'est le cœur de Joigny, un peu comme "l'Assommoir" du père Colombe. C'est le Paris populaire de Zola version 2008 en banlieue parisienne. Venus d'Arménie ou « Arabes de Marseille », ces "gens" sont des éclopés de la vie. Jacquot le chômeur rappelle Coupeau, Yéva sa femme c'est l'anti-Gervaise, et la « bombe » Magalie, quoiqu'elle s'en défende, l'arrière-petite-fille de Nana. Les adolescents en manque d'amour parental se cherchent eux entre shit et bagarres.

La violence habite les paroles mais non les cœurs. Aucun des personnages n'est un tueur en puissance même si « on n'est pas au pays des droits de l'homme pauvre.» Émouvants d'humanité, les "gens du Balto" ne manquent ni de sens moral ni d'espérance. Naturelle chez les plus jeunes — « on n'est pas condamné à l'échec ou alors ce serait une putain d'injustice la vie » — elle persiste sous d'autres formes chez les parents, dans l'espoir de gagner le gros lot au Balto ou de séduire encore à la soixantaine... Mais qui a donc éventré le patron du Balto ? « Dsl » — désolée — comme dirait Magalie l'allumeuse... On se gardera bien de le dire...

Grâce à une structure narrative originale et à une bonne maîtrise littéraire de l'illusion réaliste, on croit à l'authenticité de ces "gens" : la routine d'une existence morne et précaire les mure dans le silence ; mais lorsque l'occasion se présenter de libérer le non-dit, émerge un tout petit monde d'une profonde humanité.

 

— Faïza GUÈNE - Les gens du Balto. Hachette Littérature, 2008, 172 pages.

 

Chroniqué par Kate

 

Tag(s) : #LITTERATURE FRANÇAISE
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