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La télévision retransmet la soirée des Oscars. À l'écran surgit Angelina Jolie : elle porte un tailleur-pantalon en satin blanc. Pasquale le reconnaît aussitôt car c'est son œuvre, il travaille dans un atelier de confection d'Arzano… Au Nord de Naples, des PME adossées à la camorra fournissent ainsi la haute couture italienne. Pour chaque commande, une séance d'enchères fait triompher les ateliers les plus rapides et les meilleurs marchés, rémunérés seulement si la marchandise est acceptée. Sinon elle est écoulée par un réseau du Système camorriste. Les couturiers de Milan ne se plaignaient pas : le Système de Secondigliano, au nord de Naples, fait connaître leurs griffes et alimente le marché en tailles banales ou grandes — celles qu'on ne crée pas pour les mannequins filiformes des défilés de mode. Voilà le seul aspect séduisant de l'enquête !


Celle-ci commence par le port : le trafic des conteneurs bourrés de marchandises venues de Chine qui vont se déverser dans ce "trou noir" de l'économie mondiale qu'est la région de Naples. Elle se poursuit par l'analyse du fonctionnement de la camorra, essentiellement une juxtaposition de "familles" dont les membres ont développé de multiples activités : Roberto Saviano s'est ainsi employé à décrire le rôle moteur de la camorra dans l'économie du Mezzogiorno, le trafic de drogue, l'industrie de la confection, celle du béton et de l'immobilier, le trafic d'armes, l'agro-alimentaire, et il finit par l'économie des déchets, souvent hautement toxiques, que les parrains mafieux entassent sans vergogne dans toute la Campanie. Le plus long des chapitres décrit minutieusement le recours à la violence, on s'y attendait bien sûr. Mais gare aux clichés et préjugés.


La passion des armes concerne presque tous les camorristes ; elle amène un ami de l'auteur à entreprendre un pélerinage dans l'Oural pour rencontrer Kalachnikov, le père de l'AK-47, et lui offrir la mozzarella au lait de bufflonne, objet de fierté qu'on produit du côté de Mondragone. Saviano montre aussi les femmes de la camorra sortant de leur cuisine pour devenir chefs d'entreprise ou gardes du corps, roulant en Smart et habillées comme Uma Thurman dans "Kill Bill". Car le cinéma de Hollywood façonne l'imaginaire des camorristes des deux sexes dès l'adolescence. Un riche parrain, Walter Schiavone, s'est fait construire une immense villa, inspirée par celle de Tony Montana dans "Scarface". Son frère Sandokan préféra un bunker souterrain et sophistiqué au centre de la bourgade de Casal di Principe. Leur curé, Don Peppino Diana promettait à ces parrains si peu catholiques la réaction des paroissiens qui refuseraient de subir le sort de Sodome et Gomorrhe. Mais il fut exécuté le jour de sa fête le 19 mars 1994, juste avant de dire la messe.


« Je suis né en terre de camorra, écrit Roberto Saviano, l'endroit d'Europe qui compte le plus de morts par assassinat.» Il avait 27 ans quand il a écrit cet essai époustouflant. Avec 3 600 morts depuis sa naissance, « la camorra a fait plus de victimes que la mafia sicilienne, plus que la n'drangheta, plus que la mafia russe, plus que les familles albanaises, plus que l'ETA en Espagne et l'IRA en Irlande réunies.» L'auteur a vécu sous la protection de la police et il est d'autant plus menacé de mort par les parrains napolitains que son livre après avoir eu un succès énorme en Italie est traduit dans de nombreux pays. Je conseille de voir d'abord le film que le jury du festival de Cannes a couronné : une bonne mise en condition pour profiter au mieux d'un livre très riche, et très personnel aussi.

 

Roberto SAVIANO
Gomorra
Dans l'empire de la camorra

Traduit de l'italien par Vincent Raynaud  (avec d'utiles notes en bas de page)
Gallimard, 2007, 356 pages.

Tag(s) : #LITTERATURE ITALIENNE
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