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CHRIST IMBERBE ET CHRIST BARBU
 

 

L'actualité nous y invite. Le monde musulman vient de connaître des manifestations en réaction à la publication de caricatures du prophète Mahomet par un journal danois. L'islam interdit de caricaturer le Prophète. Mais il peut être représenté "barbu" si c'est une image "correcte" comme dans cette manifestation :
 
© Le Monde.fr : La dynamique islamiste au Proche-Orient.
Document interactif, 29 mars 2006.

Mahomet est donc nécessairement un barbu, il n'y a rien là de péjoratif. Ces réactions peuvent nous conduire à réfléchir à d'autres représentations : qu'en est-il du Christ dans l'esthétique occidentale ?

1 - L'usage est de représenter le Christ barbu

Prenons une représentation picturale récente du Christ, telle cette œuvre de Georges Rouault :

 
G.Rouault, Christ, 1937, Musée de Cleveland

Nous avons là une image "habituelle" : le Christ est montré barbu. Cela ne choque ni ne surprend bien qu'on ne puisse s'appuyer sur une image contemporaine du Christ ! L'usage de montrer le Christ barbu est si bien établi qu'il ne nous vient pas à l'esprit qu'il ait pu en être autrement. En remontant dans les œuvres du passé il est aisé de confirmer cette pratique. Ainsi du Christ peint par Titien (Tiziano) :


                 

 

On aurait pu montrer aussi bien le Christ d' Antonello da Messina. Barbu et bien barbu! Comme un «barbudo» castriste! Cette barbe est aussi présente dans les peintures du baptême du Christ, comme celle de Piero della Francesca, ce qui ne doit pas surprendre puisque le Christ est déjà adulte quand son cousin le baptise.

 

Baptême du Christ
Piero della Francesca, 1420-1492,
Londres, National Gallery

Mais au fait, depuis quand représentons-nous le Christ ?

2 - Le Christ des catacombes était imberbe

 

D'abord ce n'est qu'au début du IIIème siècle qu'apparaissent les premières images du Christ, note Jean-Michel Spieser (1). Cela se produit dans un contexte funéraire, avec les catacombes, au moment où existent des groupes de chrétiens suffisamment nombreux pour revendiquer leur existence sociale.
À l'origine le Christ était représenté jeune et imberbe. Les catacombes de Rome (2) peuvent nous montrer plusieurs versions de ce Christ imberbe des origines. Il a l'image ordinaire d'un beau jeune homme ou bien du Bon Pasteur.
 
Cette peinture s'interpréterait comme la rencontre, au puits, de la Samaritaine et de Jésus.

 

Après un miracle, la femme touche le bas du vêtement du Christ.

 

Cène - Catacombes de la via Anapo, Rome. Fin du IIIè siècle.
 
Le Christ entre deux apôtres.
Catacombes de Commodille à Rome.
A droite Paul, barbe noire et crâne dégarni. IVè-Vè siècle.
Sarcophage de Probus.
Fin du IVè siècle, Grottes de Saint-Pierre, Vatican.

 
Le Christ imberbe du sarcophage de Probus est entouré par Pierre et Paul, il se tient debout sur une colline ou un monticule d’où sortent les quatre fleuves du Paradis.
Le sarcophage du préfet de Rome Junius Bassus (milieu du IVè siècle) est également connu pour montrer un Christ imberbe. « Sa main droite, écrit J.-M. Spieser, se lève dans un geste de pouvoir. Sa main gauche tient un rouleau ouvert sur lequel on lit  "Dominus legem dat" (3).» 

Le christianisme avait été légalisé par l'empereur Constantin : la liberté religieuse accordée aux Chrétiens, on continua de figurer le Christ dans un contexte le plus souvent funéraire. Aux bas-reliefs des sarcophages et aux peintures murales des catacombes, la statuaire vint s'ajouter :

 
Le Bon Pasteur.
Première moitié du IVè siècle, Musée Chrétien, Vatican.


3 - D'imberbe, le Christ devint barbu sous l'Empire chrétien

Revenons aux Catacombes romaines. L'image du Christ peint dans les catacombes de Commodille, daté de la fin du IVè ou du début du Vè siècle est présentée comme l'une des premières représentations du Christ barbu.

 

           

 

On en vient à conclure que les représentations du Christ imberbe ont été habituelles au III° siècles mais qu'elles ont été balayées à partir du milieu du IV° siècle, quand la "Romania" est devenue un empire chrétien, et qu'il en est ainsi désormais : le Christ est figuré en barbu...

Certes, les images d’un Christ imberbe ne disparaissent pas complètement, c’est à partir de ce nouveau type du Sauveur barbu que s'est imposée l’image devenue familière aux chrétiens à travers les siècles. Certains ont suggéré que la barbe s'est imposée parce qu'elle contrastait avec les représentations es vieilles idoles païennes qu'on devait oublier.

La figuration du Christ ne s'est plus limitée aux catacombes puisque celles-ci furent généralement abandonnées. Elle est venue illustrer les églises occidentales en suivant l'exemple des églises byzantines, notamment avec le Christ Pantocrator ("maître de toutes choses"), comme ci-dessous à Cefalu (Sicile) :

 
Cefalu, abside de la cathédrale. 1148.
Christ pantocrator, bénissant de la main droite et tenant de la gauche un Évangile ouvert.

La figure christique est ici créée conformément à la tradition des moines mosaïstes du Mont Athos. Les inscriptions sont rédigées partiellement en latin et partiellement en grec, ce qui marque la fusion entre le christianisme oriental et le christianisme occidental. Texte latin: 1. Sur la voûte : « Fait homme, administrateur de l ’homme, rédempteur de l ’homme créé par moi, je juge comme Dieu incarné les esprits et les cœurs.» 2. Sur l ’Évangile : « Je suis la lumière du monde, celui qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres mais il aura la lumière de la vie. »

Le succès du Christ barbu ne cessera désormais de s'affirmer quel que soit le "support", parchemin (cf. ci-dessous,
Trésor de la cathédrale de Laon, XIIIè siècle), ou peinture comme on l'a vu dans la première partie de ce billet.

 
D'après exposition "Byzantion", New York, 2003.


4 - La persistance méconnue du Christ imberbe

 

Or, ça et là, sur un mode évidemment très minoritaire, le Christ imberbe va faire de la résistance en Occident après l'Antiquité tardive. En voici deux exemples, au début et à la fin du moyen-âge.

Premier exemple, d
ans la crypte mérovingienne de l'Abbaye Notre Dame de Jouarre (Seine-et-Marne), le sarcophage de Saint Agilbert, s'orne d'un Christ au Tétramorphe (4).

 

Christ dans une mandorle sur le tombeau d'Agilbert à Jouarre (vers 675).
 

C'est une représentation du Christ en gloire entouré des quatre évangélistes: à gauche, Mathieu sous la forme de l'homme ailé, Marc sous celle du lion, à droite, Jean en aigle, et enfin Luc en taureau. Surtout, le sculpteur du VIIème siècle a fixé ici l'image d'un Christ jeune et imberbe.
 
Deuxième exemple, avec une église du Canton des Grisons, datant de la fin du XIVème siècle, où une fresque figure le baptême du Christ peint par l’atelier d'un maître anonyme de la Réthie, le maître de Rhäzüns :
 
Fresque de l'église de LANTSCH-LENZ
Canton des Grisons, Suisse
 
On attend maintenant les preuves d'une "résistance" plus récente !!!

 

------------------------------------------ Notes -----------------------------------------------

(1) L'historien suisse Jean-Michel Spieser a publié une note sur la représentation du Christ : de l'enfant à l'adulte. <http://www.unifr.ch/spc/UF/dec03/doss3.php#>  
(2) "Les catacombes romaines et les origines du christianisme", éditions Scala, Florence, 1981.
(3)  On peut traduire par : "c’est le Seigneur qui donne la loi". Si de récentes recherches suggèrent qu’elle vise avant tout à exprimer la divinité du Christ, on a longtemps cru que cette image représentait la remise de la loi à Pierre. D’où son nom de Traditio Legis note le professeur Spieser. — Source : cf. note 1.
(4) Site internet de l'office du tourisme de Jouarre.
 


 

 

 

Tag(s) : #HISTOIRE GENERALE, #CHRISTIANISME
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