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Sur le plateau de "Vol de Nuit", l'excellente romancière camerounaise Léonora Miano a apprécié la problématique transculturelle de "BEAU RÔLE", son intérêt majeur comme sa seule cohérence. L'anti-titre ironique introduit un antihéros, Antoine Mac Paula, un "looser" conscient de sa médiocrité et "qui se la joue" — pour user de son langage — dans la vie comme à l'écran. Trentenaire pris de blues à l'idée de vieillir seul, il vit mal son métissage et son sobriquet "Bounty" : comme la barre chocolatée, il reste "noir dehors et blanc dedans".

• La construction romanesque ?
Les deux premières parties du récit mettent astucieusement en œuvre le thème central : l'auteur campe tout d'abord son personnage coiffé "afro" dans la société parisienne ; puis, à l'occasion de sa visite annuelle à son père et ses frères noirs aux Concordines — terre parfumée de créolité — il le confronte à son autre culture. Le croisement des regards et des points de vue ne manque pas d'intérêt. L'auteur décrédibilise totalement son anti-héros dans la 4ème partie avant que l'illusoire happy end de la dernière ne renvoie le lecteur au début du récit : grâce à cette chute, le roman tourne sur lui-même sans aboutir, comme la vie de ce "looser". Soit.

• L'intrigue ?
Antoine "courait le cacheton dans les téléfilms du service public" et la publicité avant de décrocher, à 35 ans, son rôle dans un film : "White Stuff" qui lui a valu un petit succès et une relative célébrité. C'est ainsi qu'un ancien camarade de collège, devenu professeur de lettres, le retrouve et l'invite à parler de son métier de comédien devant ses élèves… Par ailleurs, Antoine passe une audition pour donner la réplique dans un prochain film à une actrice célèbrissime, Aliénor Champlain : sans succès. "White Stuff" restera, selon ses termes, "l'apogée mort-né de [sa] carrière". Toutefois ces deux fils d'intrigue ne se rejoignent que dans l'épilogue : trop tard, l'ensemble manque de dynamisme.

• Les personnages ?
À force de jouer de petits rôles et de croiser sa photo dans les revues, ce médiocre acteur s'est pris au jeu. Étourdi par son demi-succès, le masque lui colle à la peau : son naturel hâbleur et égocentrique s'est hypertrophié ; il se pense charismatique et sa verve ne tarit ni sur lui même ni sur le cinéma américain. Où qu'il soit, il se donne "le beau rôle" mais n'est rien que des mots. N. Fargues restitue la logorrhée verbale d'Antoine sous forme de longues tirades, directes ou rapportées, et d'interminables monologues intérieurs tous constitués d'une accumulation de propositions, beaucoup de virgules, pas de points. Il lui prête une syntaxe relâchée et un vocabulaire très familier, voire vulgaire : cette technique d'écriture correspondait bien à son antihéros mais l'auteur n'évite pas l'excès : la surabondance prive son récit de tout élan, induit une sensation d'étouffement et lasse à la lecture. L'auteur complète ce portrait : ce trentenaire jaloux de la jeunesse des adolescents qu'il ne comprend plus en a gardé le sentimentalisme niaiseux et ne peut oublier Elvira l'espagnole qui l'a abandonné. S'il séduit par ses discours uniquement des filles blanches et blondes — convaincu qu'elles sont fières de coucher avec un Noir… —il reste peu doué pour faire l'amour, hésitant entre le mâle possessif et l'impuissant, inhibé par la célébrité de la blanche Alinéor.

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• Cependant Nicolas Fargues compense l'abord peu sympathique de son personnage : les monologues intérieurs, le recours à l'auto-dérision montrent qu'il a conscience de sa médiocrité et du mal être induit par son origine biculturelle. Déjà, enfant, il se sentait mal à l'aise dans sa famille blanche : mouton noir, on l'a élevé plus durement que ses sœurs de peau claire. Même pour sa mère blanche, il n'était qu'à demi son fils. En outre quand il retourne à Richeterre, il s'affronte à son père noir : si celui-ci a mené une grande carrière de politique locale, c'est toujours en imitant les Blancs. Pour Antoine il a gardé la mentalité d'un colonisé ; mais il est fier de ce fils qui a su devenir un "nègre blanchi".

De fait, il est bien "blanc dedans". Né en France, "du bon côté", il n'éprouve aucune empathie pour ses frères noirs : "je m'en voulais de penser d'instinct comme les Blancs" déclare-t-il. Il ne peut plus rejoindre ses racines, tout le choque aux Concordines : autant le désordre domestique que la difficulté de ses frères créoles à organiser ou leur violent machisme. En revanche, il ne tarit pas d'éloges sur la beauté de la nature, l'accueil chaleureux de ces Noirs si "cool", leurs fêtes si spontanées… Il tient les propos du touriste européen indifférent aux autochtones.

• Cette fêlure intérieure rend le personnage plus attachant, quoique nullement schizophrène. Si sa moitié noire ne vibre plus guère en lui, sa moitié blanche ne lui donne pas "le beau rôle" : c'est grâce à sa couleur qu'il a connu un certain succès, mais en réalité il sait n'avoir ni caractère, ni personnalité. S'il aime à critiquer le milieu parisien branché où chacun joue un rôle pour dissimuler son inconsistance, c'est qu'il en est le fidèle reflet : saturé de mode et de prêt-à-penser, Antoine se réduit à son image, son destin dépend des photographes : c'est toute l'ironie de l'épilogue. Le projet de Nicolas Fargues est riche, la construction romanesque intéressante. Mais il force trop les traits et se perd dans les excès simplificateurs. Son roman reste à lire comme une bande dessinée en "noir" et "blanc".

   Rédigé par Kate  
Nicolas Fargues
Beau rôle

P.O.L., 2008, 275 pages.




Tag(s) : #LITTERATURE FRANÇAISE
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