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L'Afrique subsaharienne, aujourd'hui touchée par l'émigration souvent clandestine vers l'Europe, a été pendant des siècles concernée par une triple traite : atlantique, orientale et interne. Si la traite atlantique est connue avec précision pour l'ensemble de ses facettes, il n'en est pas de même pour les traites interne et orientale.

 

La Guerre des nombres

La traite atlantique, dont les Portugais ont été les pionniers avant 1500, est la mieux documentée. Après des décennies de controverses, les historiens occidentaux ont dépouillé les archives avec acharnement et sont parvenus à des conclusions chiffrées sur le nombre de Noirs livrés aux négriers sur les côtes africaines, et débarqués dans le Nouveau Monde (plus de 10 millions). Les connaissances actuelles permettent aussi de préciser les résultats en fonction des pays de départ et d'arrivée, et d'évaluer la mortalité : celle des esclaves (qui ne se réduit pas au transport maritime, souvent de l'ordre de 10-15 %), celle des marins, surtout si leur séjour sur la côte africaine s'est prolongé. 

 

Oasis dans les déserts
Alors que les études africaines se multiplient, la traite transsaharienne et la traite orientale avec le monde arabo-musulman relèvent largement du mystère, avec quelques oasis de connaissances dans un océan d'ignorance. Des évaluations fragiles situent autour de 13 millions la ponction d'esclaves africains par la traite orientale dont les Arabes ont té les promoteurs dès l'époque de l'empire omeyyade et Zanzibar la grande tête de pont jusqu'au XIXe siècle. Sur la "traite interne", alimentant un esclavage de proximité dit "domestique", qui a été parfois relancé après 1960 (Mauritanie, Soudan, etc), la valeur de "x" restera irrémédiablement inconnue.
 
Aventures historiographiques et globalisation
Au total, environ 250 noms de chercheurs et d'universitaires sont mentionnés dans cet opus. Parmi eux, Ralph AUSTEN, William Gervase CLARENCE-SMITH, Philip CURTIN (le pionnier), David Brion DAVIS, Seymour DRESCHER, David ELTIS, Stanley ENGERMAN, Robert William FOGEL, Herbert S. KLEIN, Bernard LEWIS, Paul LOVEJOY, Patrick MANNING, Joseph C. MILLER (spécialisé dans la bibliographie du sujet), Kenneth MORGAN, et David RICHARDSON sont les plus cités. Les références à des travaux publiés en français sont nettement plus rares hormis ceux de l'auteur. Quelques chercheurs néerlandais tel Pieter C. EMMER sont également mentionnés.
 
La globalisation est ici écrite en anglais. L'université française est peu présente ! Malgré une lecture attentive je n'ai pas trouvé trace des travaux de Nelly SCHMIDT (Abolitionnistes de l'esclavage et réformateurs des colonies -1820-1851) ni de l'étude d'Éric SAUGERA (Bordeaux port négrier XVII-XIXe siècles) par ailleurs auteur d'un ouvrage court et efficace sur la traite.
 
L'ambitieux travail d'Olivier Pétré-Grenouilleau a consisté à faire la synthèse de la littérature scientifique sur le sujet, d'en rappeler tous les débats, non d'écrire une histoire-récit. En l'absence de bibliographie organisée en fin de ce livre, chose dommageable pour qui voudrait en faire un livre de base, il faut recourir au grappillage des références en bas de page pour bien comprendre sur quoi se fonde cette remarquable et importante synthèse.
 
Reprenant ses propres recherches — initialement publiées sous le titre (emprunté à l'ouvrage d'Éric Saugera sur Bordeaux) — "L'argent de la traite" (Aubier 1996, 423 pages), c'est-à-dire celle de Nantes, thèse qui prolongeait les "quelques grands travaux se comptant sur les doigts d'une main" (sic),—  l'auteur s'appuie sur Jean Mettas, ainsi que sur Serge Daget et François Renault — qui avaient publié en 1985 chez Karthala un premier livre portant ce titre "Les Traites Négrières" —. Mais il apporte peu d'informations concrètes concernant les autres ports européens de la traite : Bordeaux, Liverpool... 
 
C'est sur la base des publications du monde anglo-saxon que se fonde l'essentiel des analyses sur les origines, la périodisation, et la fin de la traite atlantique.
 
L'analyse des conséquences de la traite repose encore largement sur ce qui a été publié en GB et aux USA par les chercheurs anglo-saxons même si on trouve aussi trace d'auteurs venus d'Europe et d'Afrique.
 
Le mérite de ce livre est donc principalement de nous faire prendre conscience de l'ampleur des travaux menés (et édités) en Angleterre et aux Etats-Unis, de nous instruire des grands débats que la traite à suscités et suscite. Pour les Français qui ont trop vite tendance à limiter la traite à la période 1680-1790 ça peut être une surprise de voir l'ampleur du trafic négrier au cours du XIXe siècle, du côté de l'Atlantique comme de l'océan Indien, de découvrir Rio de Janeiro comme premier port négrier, et de voir que le Brésil est le pays qui a le plus reçu de captifs africains, notamment par une navigation en navette avec l'Angola.
 
J'ai beaucoup apprécié l'étude de l'abolitionnisme, mouvement d'opinion né en Angleterre et qui a ensuite gagné le monde, relayé par la diplomatie de Londres dès 1815, avec les croisières de répression (étudiées par Serge DAGET), et finalement l'abolitionnisme a ouvert la porte à la conquête généralisée de l'Afrique pour y faire cesser l'esclavage.
 
Olivier PÉTRÉ-GRENOUILLEAU : Les traites négrières. Essai d'histoire globale. - Gallimard, Bibliothèque des Histoires, 2004, 468 pages.
 
=>  N.B. La somme du britannique Hugh THOMAS sur "La Traite des Noirs" publiée chez Laffont, coll. Bouquins, est malgré ses 1000 pages plus..."captivante" pour qui souhaite lire une histoire plus "événementielle" que "thématique".
 

 

Tag(s) : #TRAITE, #ESCLAVAGE & COLONISATION
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