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Reporter française d'origine arabe, Seham Boutata a découvert enfant le chardonneret lors de vacances d'été dans sa famille maternelle en Syrie ou paternelle en Algérie. Après plusieurs voyages sur les deux rives de la Méditerranée elle lui a consacré deux documentaires sur France Culture. Ses enquêtes lui ont permis de prendre conscience de son identité, elle qui « immigrée à Paris, Parisienne en banlieue, Française en Algérie, reste inlassablement l'étrangère ». Ainsi s'entrelacent le récit autobiographique et l'histoire de l'Algérie, indissociables du chant du chardonneret, véritable sésame pour l'auteur ; par son intermédiaire les hommes se confient et lui révèlent autant le douloureux passé de leur pays que leur mal-être personnel.

 

« Petit oiseau aux ailes jaunes, aux joues rouges, aux yeux noirs », très fréquent dans les cultures orientales depuis l'Antiquité, le chardonneret, image de l'âme, apparaît aussi dans la peinture religieuse de la Renaissance italienne, comme dans  La Vierge au chardonneret de Raphaël. En Afrique du Nord, de nos jours encore, la confrérie du chardonneret demeure « un monde de mecs ». Seuls les hommes le choient, l'élèvent, comme un être cher. Dans la nature, le maknine — le mignon, le petit —, reproduit les chants de tous les autres oiseaux. Les hommes l'éduquent à apprendre son chant spécifique grâce à des cassettes et des CD. De plus en plus décimé par le braconnage et victimes de la pollution de son environnement, sa possession est interdite en France et les Nord-africains se le procurent illégalement, souvent importé du Maroc. « Organisé en véritables filières, le trafic de chardonnerets est devenu presque aussi important et lucratif que celui du cannabis », une aubaine pour les jeunes algériens chômeurs.

 

Pour tous ceux qui, comme le père de l'auteur, ont émigré en France pour trouver du travail, le chant du chardonneret maintient le lien affectif avec leur pays, les console en apaisant le ghorba, la nostalgie mélancolique qui les hante. Chauffeur de taxi en France ou vieux marchand d'oiseaux à Alger, tous racontent à Seham Boutata l'histoire tragique de l'Algérie : étouffé pendant la colonisation, « le colonisé ne veut plus qu'imiter, ressembler au colonisateur » déplorait déjà Franz Fanon en 1956. Puis vinrent les années 1990, et la répression imposée par les islamistes armés qui ont « exterminé toute forme de culture » et interdit les chansons, dernières de leurs libertés. Enfin, déçue aux lendemains de l'indépendance, l'Algérie sous Bouteflika , « vieillard sous perfusion », apparaît sans avenir. Néanmoins, depuis le 22 Février 2019, les manifestations pacifiques des jeunes du Hirak font naître un espoir : c'est sur cette perspective de bonheur que S. Boutata achève son livre.

 

L'auteur a finalement renoué avec son identité grâce au chaabi, cette musique populaire née du chant du chardonneret. Quel que soit le devenir de l'Algérie, le petit oiseau restera au cœur des hommes car « le maknine, pour les algériens, c'est leur part de liberté, c'est ce qui leur donne du rêve ». Espérons qu'il deviendra réalité.

 

Seham Boutata : La mélancolie du maknine. Editions du Seuil, mars 2020, 187 pages.

 

Chroniqué par Kate

 

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