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 Sofia Aouine immerge le lecteur dans le quartier de la Goutte d’Or grâce à la tchatche, la langue argotique et crue d’un adolescent de treize ans, Abad, qui interpelle le lecteur pour lui raconter son quotidien dans la rue Léon qui a « une gueule de décharge ». Plusieurs portraits révèlent les vies fracassées de ces habitants « oubliés ». Inspirée par le personnage d’Antoine Doinel dans « les 400 coups », l’auteure signe un premier roman violent et réaliste récompensé par le prix de Flore. Mais à travers les propos virulents de ce jeunes rebelle, Sofia Aouine dénonce l’isolement, la misère morale, terreau de la drogue, de la prostitution et du sectarisme.

       Abad et ses parents ont échoué à Barbès après avoir fui le Liban : « Je suis arrivé dans ce bordel il y a à peine trois ans et j’ai l’impression d’avoir vieilli de dix piges » confie Abad.

       Entre la violence de Baba son père et la résignation silencieuse de Mama qu’« il chérira jusqu’à la fin des temps », ce petit « casso » cavale sur les toits et arpente cette rue car « c’est la rue qui nous gouverne ». Entre « blédards » et « clandos », cette rue c’est sa vraie famille. Très vite sa vie part en vrille. Pour s’inventer un avenir avec ses trois « potos », Abad accumule les bêtises et se retrouve étiqueté « primo-délinquant ». Confié à une psychanalyste pour lui « faire torturer le dedans », il trouve une écoute qui l’apaise un moment. Mais rien n’arrête Abad, prêt à tenter les 400 coups pour vivre. Placé en famille d’accueil en Normandie il goûte enfin un peu au bonheur.

       L’affection, l’adolescent la trouve auprès de femmes dont il se sent proche, des femmes à l’existence aussi cabossée que la sienne, car « la vie est une sale pute » pour eux. Voici Batman son premier amour, vite séquestrée par son frère Omar le Salaf ; Gervaise, la prostituée camerounaise qui finit par se défenestrer ; Odette sa voisine, sa seconde mémé, qu’il visite à l’Ehpad où Alzheimer la détruit peu à peu ; enfin Ethel, la psychanalyste juive exilée comme lui... Mais tout échappe à Abad qui n’est pourtant pas un mauvais garçon. Il se prend même d’empathie pour Djovan, un jeune roumain ou moldave arrivé dans sa classe : « j’ai pitié » explique-t-il, « car c’est un pas-français comme moi ». Au café l’adolescent croise les vieux chibanis, ces travailleurs émigrés « qu’on a jetés à l’eau en 1961 » dont les fils consument « le reste de leur vie dans les vapeurs des cailloux de la colline du crack Porte de la Chapelle ». Les petits-fils, eux, comme Omar le Salaf, néo-barbus, sont devenus ces pseudo-imams, les Barbapapas, « prêts à se faire sauter au nom d’un Dieu qu’ils ne comprennent pas et salissent chaque jour ».

       Barbès, Château-Rouge, Rochechouart, ce territoire des oubliés de la République, Sofia Aouine le met en lumière sans pathos, mais non sans drôlerie. Nul ne peut rester insensible à l’écoute de cette rhapsodie dédiée... au destin : tout un symbole !

       • Sofia Aouine : Rhapsodie des oubliés. La Martinière, 2019, 200 pages.

Chroniqué par Kate

 

 

 

Tag(s) : #LITTERATURE FRANÇAISE
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