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Dans la littérature russe d'avant la révolution bolchévique, Fiodor Sologoub (1863-1927) est une figure peu connue et un auteur rarement traduit en français. Fils d'un tailleur de la capitale qui avait été serf, Sologoub a enseigné les mathématiques pendant vingt-cinq ans avant de se livrer à la littérature puis à la traduction. Son véritable nom, Teternikov, n'a pas paru suffisamment poétique à ses amis symbolistes : ils l'ont ainsi joliment rebaptisé et l'écrivain est devenu célèbre sous ce nom de plume à la publication en 1905 de son roman Le Démon mesquin où un obscur professeur poussé par la manie de la persécution finit par commettre un crime. Justement, des persécutions et des vies brisées on en retrouve ici…

 

Ce recueil de treize nouvelles donne une juste idée de la diversité du talent de leur auteur, mais la noirceur des histoires est la caractéristique première de la totalité des textes. On n'imagine pas où conduisent les mauvaises idées, stupides, farfelues, venues de l'inconscient ou du hasard et qui font que tout s'enchaîne pour le pire! Serait-ce l'enseignement des mathématiques qui lui aurait donné le sens de la logique infernale ?

 

Ces histoires s'inscrivent pour un bon nombre dans un cadre familial et mettent en scène un enfant. Une mère et son jeune fils se laissent happer par la magie du théâtre d'ombres que l'on fait avec ses mains sur un mur fortement éclairé (La lumière et les ombres). Coupable d'avoir cassé une tasse à thé, une jeune fille nommée Vanda subit les reproches du maître de la pension ; crédule, elle s'imagine qu'un ver s'est introduit dans sa gorge. Elle en tombe littéralement malade (Le ver). Lors d'une fête d'anniversaire, un petit garçon subit avec le sourire les remarques déplaisantes de ses pairs. Les années passant, ce défaut le conduit au suicide (Avec le sourire). Une petite fille aime jouer à cache-cache à la maison. Une servante dit que c'est mauvais signe et sa mère en devient obnubilée, l'esprit envahi de mauvais pressentiments (Cache-cache). Apprenant la nouvelle du décès de son neveu, l'employée de banque Nadejda pense à ce qu'aurait pu devenir l'enfant qu'elle a refusé quelques années plus tôt.(Le baiser de celui qui n'était pas né).

 

Les jeunes filles des nouvelles de Sologoub ont parfois des idées bien étranges. Regardez ceux deux histoires tragiques. Nina Alexeevna Bezsonova fait partie d'un curieux club féminin : chacune à son tour, les jeunes filles prennent le deuil et vont à l'enterrement de tout jeune homme qui décède sans fiancée connue. Cela va entraîner très loin Nina ! (La fiancée en deuil).Alexandra a été méchamment qualifiée de "roquet" par sa collègue de l'atelier de confection où elle travaille. Il n'aurait pas fallu que la nuit venue, à la datcha, elle se mette à hurler à la lune.(Le chien blanc).

Vraiment, on ne pense pas assez aux conséquences de ses actes…

Voici justement les cas de deux hommes bien établis dans la société et qui un jour vont faire un mauvais choix. L'histoire du fonctionnaire Iakov Alexeevitch Saranine forme la seule nouvelle pleinement humoristique. Saranine est petit et sa femme plutôt grosse comme dans les caricatures de Dubout. Il aimerait bien qu'elle perde du poids, mais elle ne peut pas réprimer sa gourmandise. La rencontre avec un charlatan arménien tombe à merveille, pense Saranine. Mais la potion qu'il devait faire boire à son épouse, c'est lui qui l'ingurgite par erreur. Alors Saranine, déjà petit, rétrécit encore. Le voici bientôt chassé de l'administration malgré son rang de conseiller de cour, puis… transformé en attraction d'une boutique de luxe ! (Un petit homme).

Sergueï Platonovitch Pereïachine est surveillant général d'un lycée. Au retour d'une soirée arrosée, il donne le fouet à un jeune pensionnaire. Or, Valia Zagliadimov est un rêveur confirmé qui ne reconnaît pas la réalité de sa punition. Le débat divise les élèves. Les plus grands alertent la presse et se mettent en grève. Les autorités sont dépassées. Pereïachine, à lui seul, veut maintenir l'ordre. Quitte à s'engager comme gendarme, etc… (Le surveillant à cheval).

 

On peut mettre à part deux contes tragiques en raison de leur inspiration mythologique. Un pays légendaire succombe à la sanglante coutume de laisser ses enfants se faire dévorer par un monstre au lieu de le mettre en cage comme dans le royaume voisin (Au-delà du fleuve Meïrur). Dans un autre conte (Le pays où la Bête régnait) deux amis voient leur amitié succomber — comme dans le roman Le démon mesquin où le héros assassine son meilleur ami. Un œuf d'or trouvé en chemin doit conduire à régner sur la cité qui n'a plus de roi. Kenia ramasse l'œuf d'or puis le confie à son ami Meteïa. Bientôt ses conseillers poussent le nouveau roi à se débarrasser de Kenia — et ceci à plusieurs reprises — jusqu'à se transformer lui-même en fauve.  

 

Qu'elles soient tragiquement inspirée de la vie contemporaine ou d'une mythologie antique, les nouvelles de Sologoub montrent probablement un esprit pessimiste, puisque les mauvaises comme les meilleures intentions fatalement conduisent au cauchemar et à la mort. Néanmoins l'auteur laisse aussi une bonne place à l'humour noir et leur écriture est d'un classicisme affirmé que le temps n'a pas périmé.

 

Fiodor Sologoub. La lumière et les Ombres. Traduit du russe par Christine Zeytounian-Beloüs. Editions Noir sur Blanc, 2002, 197 pages.

 

 

 

Tag(s) : #LITTERATURE RUSSE
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