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     Edna O’Brien s’est rendue plusieurs fois au Nigeria où elle a rencontré certaines des jeunes filles enlevées par Boko Haram en 2014. Elle a par ailleurs multiplié les interviews des acteurs de terrain afin de documenter son récit dont elle justifie le choix narratif : « faire entendre l’imagination et la voix de ces captives par le truchement d’une seule fille particulièrement visionnaire » : Maryam. Les médias ont beaucoup communiqué sur la tragédie mais peu sur le ressenti de ces « écolières » ; c’est l’intérêt de ce récit.

     L’auteur bouscule la temporalité, entre réminiscences, rêves et hallucinations, signe évident du grave traumatisme de sa narratrice. Son long monologue s’interrompt parfois pour laisser la voix à d’autres personnages ; tous disent leur passé heureux et l’horreur des tragédies subies. O’Brien restitue bien le climat de violence et de souffrance. Toutefois le style demeure souvent pesant, comme alourdi par l’accumulation de toutes les sources documentaires.

     En ce « jour noir » de 2014,  Maryam et onze autres jeunes filles ont été enlevées de nuit dans leur école, puis transportées en camion jusqu’à un camp où elles ont subi diverses humiliations et viols collectifs. Mariée de force, Maryam s’est retrouvée « esseulée, indésirable et enceinte ». Grâce à l’intervention de l’armée nigériane elle a pu s’enfuir avec sa fille Babby et entamer une longue errance dans la forêt, sans cesse en quête de nourriture. Happée par le désespoir, — «  Dieu nous avait désertées ...je voulais mourir » — elle tenta de noyer sa fille, lui avouant : « ne suis pas assez grande pour être ta mère ».

     Sauvées par des nomades, elle reprit espoir mais ceux-ci ne pouvaient garder « l’épouse d’un insurgé et son enfant » qui les mettaient en danger. Enfin recueillie par les militaires, « vaillante et résiliente », Maryam finit par retrouver sa mère et récupéra Babby qui lui avait été ravie. Belle happy end où dans la maison familiale, la jeune femme veut croire en l’avenir.

     Courageuse, déterminée à survivre, le personnage de Maryam force l’admiration. L’auteur insiste sur sa déchéance physique, son « corps couvert de cicatrices et de croûtes », et son traumatisme psychique, sa sensibilité tant ébranlée qu’elle « ne sait plus ce qu’est la haine, ni la peur, ni l’amour » et peine à aimer son enfant.

     Le plus douloureux, c’est le rejet méprisant que Maryam a subi, de la part des voisins et de ses proches. Devenue « une femme du bush », elle avait à leurs yeux, souillé le sang de sa race ; sa fille était donc « de mauvais sang » et , d’après sa propre mère, « quand elle sera grande elle sera des leurs ». On comprend les machinations familiales pour faire disparaître l’enfant. On note, par ailleurs, que la violence n’est pas le seul fait des djihadistes « rapace et intolérants » ; et tous ne sont pas des monstres, témoin l’époux de Myriam qui a rejoint les rangs de Boko Haram pour sauver sa mère de la faim.

     O’Brien donne sa pleine dimension à la cruelle tragédie vécue par ces jeunes filles. En faisant de Maryam leur porte-parole « visionnaire » c’est toute leur foi en la vie qui prend souffle. Mais l’auteur nous rappelle aussi qu’en situation de guerre le bien et le mal habitent autant les victimes que les agresseurs car, comme le déplore la narratrice, « la nature humaine était devenue diabolique »


 

     Edna O'Brien : Girl. Traduit de l'anglais (Irlande) par Aude de Saint-Loup et Pierre-Emmanuel Dauzat. Sabine Wespieser éd., 2019, 250 pages.

Chroniqué par Kate

 

Tag(s) : #LITTERATURE ANGLAISE, #IRLANDE
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