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Prix NOBEL 2018

 

Un village : Antan, quelque part dans le sud-est de la Pologne, la ville la plus proche est Kielce. Une famille : celle du meunier Michel Céleste, qui à l'été 1914 est parti à la guerre avec l'armée russe, juste avant que sa femme Geneviève donne naissance à leur fille Misia. Un personnage principal : Misia, justement. Celle-ci épousera Paul, employé chez un marchand de bois juif, puis inspecteur des forêts, et leur mariage aura lieu seulement une fois leur maison achevée ; « ils décorèrent la poutre de faîte pendant l'été 36 ».

 

Assez vite, on croit constater que l'intérêt du livre consiste à suivre Misia d'un bout à l'autre de sa vie en même temps que l'on suit l'histoire du village de la fin de l'époque tsariste jusqu'à la Pologne post-communiste, sans trop insister sur les différences de régime car on se situe dans une écriture qui est plus celle du conte que du roman réaliste. Au cœur du récit cependant les années 1939-1945 constituent un tournant majeur avec la présence des troupes allemandes puis russes. Elles s'installent dans le village et rivalisent dans la violence. Ruth, la fille de la Glaneuse, est violée par les uns et les autres. Geneviève assiste involontairement à la déportation des juifs, dont une partie refuse de monter dans les camions et est mitraillée sur place. Mais d'autres fils conducteurs existent.

 

Symboliquement, comme on l'apprend dès l'incipit, Antan est « au milieu de l'univers », le modèle d'un monde paysan qui va disparaître après 1945. Deux chemins s'y croisent et conduisent vers les quatre points cardinaux. Deux rivières, la Noire et la Blanche, viennent y converger et parfois inonder les prés. Tout autour, s'égrènent d'autres villages (Taszow, Wola, Kotuszow), à peu près semblables, mais comme au-delà d'une frontière invisible pour Isidor qui est un peu innocent. Au-delà de ce terroir, une vaste forêt joue un rôle important : la Glaneuse, un peu prostituée un peu sorcière, y vit à l'écart. Quand vient l'heure des combats meurtriers et des destructions c'est dans cette forêt que les villageois, expulsés par les Russes, se cachent pour survivre. Dans cette même forêt riche en champignons, Ruth, la fille de la Glaneuse apprend au jeune Isidor comment les rendre consommables.

 

Et c'est lui Isidor, le petit frère de Misia, qui discute en 1944 avec un soldat russe, de l'existence de Dieu, et de la création du monde — ce qui fait écho au jeu qui absorbe le châtelain Popielski. Dans ce village perdu, il reste une empreinte religieuse sur les esprits. Symboliquement — encore ! —, le Père Divin “règne” sur le toit du château de Popielski. Il passe son temps à changer les bardeaux du toit et à regarder le monde d'en haut plutôt que de descendre déjeuner. Les familles s'appellent Céleste, Chérubin, Séraphin… Un ange apparut à Misia au moment de son accouchement. La Glaneuse rêva d'une fleur, une angélique juste avant de recevoir chez elle un homme angélique qui lui donnera une fille, Ruth. A l'été 39, « Dieu troubla la Glaneuse dans sa chair, manifestant sa présence dans ses seins qui se gonflèrent miraculeusement de lait. Lors que les gens l'apprirent, ils commencèrent à lui rendre visite en cachette afin de présenter à ses mamelles les parties malades de leurs corps. Elle les aspergeait d'un jet de lait… » Et ils guérissaient, hélas « tous ceux sur qui furent opérées ces guérisons périrent durant la guerre ». Le Bien et le Mal sont toujours particulièrement emmêlés...

 

Après s'être passionné pour l'art moderne avec une jeune artiste, le châtelain Popielski ne se remit pas de son départ pour l'Amérique. Appelé pour le guérir, le rabbin lui laissa un livre : Ignis fatuus ou Jeu instructif pour un seul joueur. Pour y jouer, après des mois et des mois de préparation, Popielski doit étaler une toile composée de huit cercles appelés mondes. « Le deuxième monde a été créé par Dieu jeune. À ce stade, Dieu manquait d'expérience ». Dans un autre monde, Dieu serait fatigué, ou bien il oublierait par ennui sa création. Plusieurs années passeront, tant le jeu est complexe, avant qu'il parvienne au dernier monde et entre temps, les communistes lui auront pris ses terres et son château. Au jeu théologique de l'aristocrate répondent les discussions métaphysiques du jeune Isidor avec le soldat Ivan Moukta qui en bon bolchevik est athée.

 

 

Même si on vit la fin de l'ère des aristocrates, avec l'histoire du châtelain Popielski, on ne lira pas  Dieu, le temps, les hommes et les anges  comme un roman historique, plutôt comme une parabole nourrie de thèmes religieux ! Après l'époustouflant Les Livres de Jakob, ce roman est plus reposant, moins de 400 pages et un format agréable.

 

• Olga Tokarczuk. Dieu, le temps, les hommes et les anges. Traduit du polonais par Christophe Glogowski. Pavillons Poche, Robert Laffont, 2019, 390 pages.

 

Tag(s) : #LITTERATURE POLONAISE
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