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Juste la soixantaine, Elisabeth Jauze est une personne sérieuse, chargée des brevets à l'Institut Pasteur, fidèle à son mari Pierre au profil insipide. Elle décide d'inviter chez elle des amis, des relations, et le couple Manoscrivi, les voisins du dessus, pour une « fête de printemps » après quoi un grand dérapage se produit dans sa vie et l'entraîne. Or, elle, la narratrice, n'est pourtant pas du genre à tout gober dans l'air du temps et à suivre, passive, le cours des choses ni à se laisser entraîner dans n'importe quoi.

 

C'est ainsi qu'elle se moque des formules creuses, des « concepts creux » qui ont envahi notre langage, par exemple « devoir de mémoire », « travail de deuil », ou encore « créer du lien » — ces trucs de bobos qui ne veut rien dire selon elle. Ainsi, un brin d'esprit critique ne lui déplait pas. Jean-Lino le voisin du dessus et surtout son épouse Lydie sont justement dans cette ligne non-conformiste : Jean-Lino qui parle en italien avec son chat Eduardo, l'a emmenée découvrir l'univers des courses hippiques, Lydie l'a invitée avec Pierre au cabaret où elle chante en plus de son travail de thérapeute new age... Bref un couple qu'on ne peut pas confondre avec celui de la narratrice. Mais le sérieux d'Elisabeth est peut-être un vernis qui ne demande qu'à se fissurer et craquer.

 

Après une soirée arrosée ironiquement racontée, avec juste un incident entre les Manoscrivi à propos de poulet biologique ou pas, mais pleine de dialogues savoureux qui montrent le savoir-faire de Yasmina Reza en matière théâtrale, le départ des invités aurait pu laisser la place au train-train quotidien. Or ce qu'il advient d'Elisabeth quand en pleine nuit Jean-Lino revient leur dire qu'il a assassiné Lydie n'a plus rien à voir avoir l'attitude qu'on est en mesure d'attendre d'une juriste comme elle ! Le roman tourne au polar à suspense et le lecteur ne s'ennuiera pas une seconde. Et le lendemain, Elisabeth ne se sentira plus coupable de rien... Quelques jours plus tard, le lecteur aura probablement presque tout oublié, sauf cette histoire de poulet bio et de grosse valise rouge.

 

Roman superficiel alors ? L'écriture de l'auteure paraît le laisser croire car tout se déroule simplement ce qui nous piège en quelque sorte. Jean-Lino, par qui le drame est arrivé, est en fait un personnage perturbé. Son origine juive italienne a été perdue de vue et déjà son père ne se remémorait plus grand chose de sa culture ancestrale sinon ce verset des Psaumes : "Sur le bord des fleuves de Babylone, nous étions assis, et nous pleurions en nous souvenant de Sion…" Ses relations avec le fils de Lydie sont plus difficiles qu'avec son chat Eduardo. Elisabeth est peu sensible face à la mort de sa mère comme à celle de Lydie ; c'est ainsi que l'expression « travail de deuil » ne lui paraît pas faire sens. De l'art en somme d'évoquer des questions graves en faisant mine de rester dans la légèreté.

 

• Yasmina Reza. Babylone. Flammarion, 2016, 218 pages.  

 

 

Tag(s) : #LITTERATURE FRANÇAISE
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