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Une longue postface biographique confère aux huit nouvelles de ce recueil toute leur authenticité. Mikhaïl Tarkovski évoque sa vie de chasseur-trappeur au cœur de la Sibérie, près du fleuve Ienisseï. Comme autant de petits documentaires pris sur le vif, ces récits  « bruts de décoffrage » donnent à imaginer l’immensité de la taïga et, malgré la rudesse du climat, la chaleur des rencontres. C’est un petit monde d’hommes, de  solitaires, où l’on croise quelques rares femmes.

Dans la taïga l’hiver éprouve hommes et animaux. Par moins 40° C « même le temps semble gelé » et « tout le monde attend la débâcle comme une fête ». Solitaires, chacun dans sa cabane, les trappeurs posent des kouliomki, des pièges à zibelines, dont la fourrure est de bon rapport. Quand la solitude devient pesante, les motoneiges facilitent les réunions entre copains et « l’alcool libère les âmes », surtout  lors de la fête de Noël : au village, allant de maison en maison, les chasseurs « boivent des coups » jusqu’à s’endormir ivre mort sur le motoneige comme Gochka dans la nouvelle éponyme. Ce sont des loups solitaires, attachés à leur liberté, leur indépendance, leur autonomie dans la taïga, « ce monde que l’on peut encore ordonner de ses propres mains ». Ils n’ont que mépris pour les citadins ; lorsqu’une expédition zoologique s’installe dans leur secteur, ils accusent les scientifiques de « piller la taÏga ».

Certains, comme Petrovitch, sont mariés mais la vie de couple leur pèse et leurs épouses ne supportent pas longtemps leurs longues absences. Ces hommes aimeraient pourtant « partager la beauté environnante » avec quelque conquête. M. Tarkovski se souvient d’avoir aimé Tania, la biologiste, « jeune femme élancée », citadine, alors que « nos bonnes femmes ne sont pas aussi minces qu’à la télé ». Il a connu l’amour fou avec  celle qui « sentait la ville, l’été et le shampoing à la pomme ». Mais elle n’avait fait que flirter...

Nouveau rêve enfui... Mais il assume ; « faut pas attendre éternellement les hommes comme moi » ; toutefois les souvenirs de ces « instants restent comme des amers sur le fleuve immense » de la vie.

Seule une septuagénaire édentée, sans famille, vit en cabane ; elle seule sait retenir les chasseurs : son sens de l’accueil sa gaîté sa sérénité — « un zour ze mourirai ! » — réchauffent leur cœur sans rien exiger en retour.

Une telle existence invite à la méditation, surtout à l’automne, car « alors nous voyons sourdre en nous une étonnante réceptivité à la nature, une mélancolie qui est un véritable don de Dieu ».

Authentique  monde en soi, la taïga sibérienne envoûte ceux qui y ont toujours vécu. On songe alors aux textes de S. Tesson. Il n’est pas natif de Sibérie, pourtant elle exerce sur son imaginaire, depuis des années, une profonde fascination. C’est sans doute ce regard étranger, cette prise de recul, qui donnent à ses récits une profondeur que M. Tarkovski ne peut avoir. Ses nouvelles nous offrent cependant un agréable dépaysement.

 

Mikhaïl Tarkovski. Le temps gelé. Traduit du russe par Catherine Perrel. Verdier, collection « Slovo », mars 2018, 142 pages.

Chroniqué par Kate
 

 

Tag(s) : #LITTERATURE RUSSE
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