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Les sept essais de ce nouvel opus de l'historien américain spécialiste de l'histoire de l'Atlantique, professeur à l'université de Pittsburg, sont réunis par le thème de la révolte.

Certains textes reprennent des travaux antérieurs dont j'ai rendu compte sur ce site. Le chapitre V reprend un aspect de L'Hydre aux mille têtes. L'histoire cachée de l'Atlantique révolutionnaire (éditions Amsterdam, 2008). Le chapitre VI qui traite de la révolte des esclaves à bord des navires négriers revient à nouveaux frais sur la matière de l'incontournable ouvrage qu'est À bord du négrier. Une histoire atlantique de la traite (Seuil, 2013). Enfin le chapitre VII résume Les révoltés de l'Amistad. Une odyssée atlantique (1839-1842) paru chez le même éditeur deux ans plus tard. Les cinq premiers chapitres sont constitués de la réunion de diverses communications et d'articles ; l'un d'eux étant inspiré par un autre ouvrage de Marcus Rediker, Pirates de tous les pays. L'âge d'or de la piraterie atlantique (1716-1726), (Libertalia, 2011).

Ceci étant dit, c'est bien le thème de la révolte populaire qui fait l'intérêt de ce nouveau livre de l'historien de Pittsburg, toujours avec l'originalité d'une démarche historique : celle de l'histoire par le bas, dans le sillage d'Edward P. Thomson et d'Eric Hobsbawm.

Plus particulièrement, on trouvera dans ce livre une passionnante réflexion sur « les histoires de marins » (ch. 1) parce qu'elles font entrer dans le monde des travailleurs à la base de la puissance croissante de l'Angleterre aux XVIIe et XVIIIe siècles. Dans les tavernes d'un port, ou à bord du « guineaman », ces équipages se transmettent des histoires qui bientôt se retrouvent sur le papier pour avoir inspiré des écrivains comme Daniel Defoe — les Aventures de Robinson Crusoe parurent en 1719— tandis que Tobias Smollett servit dans les Caraïbes comme chirurgien à bord du HMS Chichester, avant de publier en 1748 son fameux roman picaresque, les Aventures de Roderick Random. L'histoire du marin Edward Barlow (ch.2) couvre la seconde moitié du XVIIe siècle : son intérêt est de faire le lien entre l'état d'esprit des marins prêts à se révolter et l'héritage du mouvement révolutionnaire anglais, non pas de 1688, mais de la révolution qui décapita le roi en 1648 et vit se développer d'importants groupes radicaux comme les niveleurs et les « diggers ». Barlow, qui a laissé des mémoires, jugeait sans complaisance l'histoire économique de son temps. Après avoir bourlingué aux Antilles, au Brésil et en Chine, son esprit critique était évident : « Je laisse le reste du monde juger si nous sommes en accord avec la loi divine quand nous, un pays étranger, nous venons installer dans des îles et des pays par la force pour y construire des forts et y appliquer notre propre loi, et imposer à des peuples, sans leur consentement, des coutumes en contradiction avec la véritable nature de ces peuples et de ces lieux. »

L'histoire d'Henry Pitman, médecin et quaker, est tout autre. Arrêté après la conspiration de Monmouth en 1685, il fut condamné à l'exil, déporté aux Antilles, vendu comme esclave puis libéré par des pirates avant de pouvoir rentrer en Angleterre. La révolution de 1688 venait de se produire, et en renversant la monarchie qui l'avait condamné, elle faisait de lui un héros. Son histoire malheureuse se situa principalement à la Barbade, alors « la plus riche des colonies anglaises » selon l'auteur. Les pirates qui le sauvèrent de la minuscule île où il avait atterri, survivant avec ses compagnons d' infortune grâce au savoir d'un Indien, ne pouvaient pas savoir qu'ils inspireraient Defoe.

Pour qui s'intéresse à la piraterie, le chapitre IV, “Sous la bannière du roi de la Mort » — c'est-à-dire le Jelly Roger — est primordial. Outre des estimations chiffrées, l'importance de la piraterie est expliquée dans le contexte de la crise qui suivit la fin de la guerre en 1713 : la Royal Navy diminua tellement ses effectifs, puis la reprise du commerce international fut si brève, que de très nombreux marins sans travail furent alors tentés de se mutiner et/ou de se faire pirates. Beaucoup de ces pirates se retrouvaient aux îles Bahamas (cf. graphique p. 98). La brutalité des capitaines était un facteur permanent de la révolte à bord. Les autorités n'hésitaient pas à mettre en scène les pendaisons des pirates pour impressionner les petites gens, ainsi celle de Stede Bonnet à Charleston en 1718 (cf. gravure p. 114). Mais le spectacle de la répression n'empêchait pas le prolétariat des ports d'envier la société des pirates pour son idéal d'égalitarisme : à preuve leur mode de partage du butin.

Encore plus utile, le chapitre VI, « Un équipage bigarré dans la Révolution américaine », s'attache à montrer — brillamment — l'implication des marins dans les origines du soulèvement des colonies américaines contre Londres durant les vingt-cinq années qui précédent le 4 juillet 1776. Blancs, noirs, mulâtres, formant des équipages bigarrés (« a motley crew ») étaient exaspérés par les recruteurs des vaisseaux de la Navy. Leur indignation contre ces recrutements forcés apparentés à l'esclavage fit d'eux « les instigateurs du cycle révolutionnaire » de l'avis de Marcus Rediker. Les nombreux exemples de désertion, de révoltes à bord, d'incendies de bateaux, de participation à des actions de protestation contre les taxes décidées par la Couronne donnent des éclairages nouveaux à qui veut connaître les temps qui conduisirent à l'indépendance des treize colonies. « L'équipage bigarré fournissait ainsi une image de la Révolution par en bas qui se révéla aussi terrifiante pour les tories que pour les patriotes plus modérés », souligne-t-il avant de montrer dans ces révoltés des exemples pour d'autres révolutionnaires, à Saint-Domingue par exemple.

En somme, voilà un livre abordable et qui permet de se plonger avec passion dans l'histoire atlantique du XVIIe au XIXe siècle et de découvrir la diversité des travaux d'un spécialiste reconnu.

 

Marcus Rediker. Les Hors-la-loi de l'Atlantique. Pirates, mutins et flibustiers. Traduit par Aurélien Blanchard. Editions du Seuil, 2017, 286 pages. L'illustration de couverture est un détail d'un tableau de Volaire, L'Abordage, 1765. 

 

Tag(s) : #HISTOIRE GENERALE, #ESCLAVAGE & COLONISATION, #ATLANTIQUE
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