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Chargé de rédiger un article pour un magazine de voyage, A. Kauffmann a découvert le peuple hadza et s’est passionné pour son sujet au point d’y retourner deux ans plus tard.

Son récit retient l’intérêt car l’auteur réfute les théories de certains archéologues et brise l’illusion d’exotisme des touristes. En Tanzanie, non loin du parc de Ngorongoro et du Kilimandjaro. Alexandre Kauffmann a rencontré ce peuple que l’on dit fossile, inchangé depuis 40 000 ans et origine de l’humanité. D’une plume satirique il dénonce cette représentation ; comme les autres tribus d’Afrique noire les hadza ont évolué et savent s'adapter à la modernité. À leur contact, le journaliste a fait l’expérience de l’altérité et a pris conscience, non sans amertume, de son propre fantasme exotique.

 

Estimés de nos jours à 1300 individus, les nomades hazdza, chasseurs-cueilleurs, ignorent la propriété privée, n’ont ni chef, ni religion, ni culte des morts et abandonnent leurs défunts aux hyènes. Pour les spécialistes, ce peuple, unique tant par sa langue que par son génome, n’aurait pas évolué : Frank Marlowe, anthropologue américain, estime qu’ils sont restés à l’état sauvage et les situe entre le singe et l’homme. Bien que sa thèse soit abandonnée depuis un siècle, il l’enseigne  toujours à Harvard. Alexandre Kauffmann a vite compris pourquoi : cette image « exotique » des Hazda fossiles sert l’industrie touristique, c’est un business dont chacun profite, Marlowe, Pedro le prêtre, Matayo le potentat local. Les plus jeunes rackettent les « munzgu » — les blancs — et le journaliste en fait les frais ; normal, puisque « dans ton pays vous avez de l’argent... nous ici on n’a rien ». D’ailleurs lui-même monnaye ses interviews, petite entorse à la déontologie de la profession. Les Hadza participent à la « comédie de brousse » offerte aux touristes, revêtant des peaux d’impala, chaussés de sandales en pneus recyclés alors qu’au quotidien ils portent t-shirts, tongs et casquettes de baseball... L’auteur ne manque pas d’humour pour croquer ces touristes convaincus de photographier d’authentiques Hazda quand ce ne sont souvent que des ivrognes, des marginaux « des crève-le faim qui vendent des visites truquées à des étrangers qui auraient mieux fait de rester chez eux ». On leur sert l’illusion rousseauiste qu’ils attendent, celle des hommes « premiers » heureux au sein d’une nature vierge.

La réalité est bien différente, le peuple hadza n’est pas voué à disparaître. Certes leurs espaces de chasse se réduisent, envahis par les troupeaux des Dagota, les éleveurs voisins ; les rangers des parcs nationaux les surveillent car tuer des bêtes sauvages nuit au succès des safaris photos organisés par les quatre cents agences d’Arusha, la ville la plus proche. Les Hadza consomment des plantes hallucinogènes et boivent de la bière, mais l’évolution du monde transforme ces habitudes ancestrales en addiction : marijuana, alcoolisme, ravages du sida. Néanmoins ils savent s’adapter. Ils vivent dans le présent, sans anticiper ni accumuler, en pratiquant l’échange « seul gage de survie » pour eux.

 

Les jeunes utilisent des téléphones portables, beaucoup sont scolarisés et tous parlent le swahili, langue de la Tanzanie car leur idiome manque de mots, pour calculer par exemple. Les Hadza tirent leur force de leur absence d’attachement, familial ou amical, garantie de leur liberté. Alexandre Kauffmann voit les plus jeunes attirés par la ville. En brousse ou dans une mégalopole, il faut évoluer ou disparaître. Cette immersion  a permis au journaliste de rencontrer un « Autre » qui lui ressemble et diffère ; mais lui non plus n’a pas trouvé au fond du bush ce qui lui manquait à Paris. Le « bon sauvage » reste un mythe, aucun peuple n’est plus « premier », fossilisé au musée noir.

 

Alexandre Kauffmann. Black Museum. Flammarion, 2015, 237 pages.

 

Chroniqué par Kate

 

 

 

 

 

 

 

Tag(s) : #LITTERATURE FRANÇAISE, #AFRIQUE
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