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François Maspero vient de nous quitter. Connu pour son œuvre d'éditeur d'essais politiques, il s'est aussi illustré par des romans. "Le sourire du chat" est le premier qu'il publia.
Sous la couverture qu'illustre le Maneki-neko, le chat porte-bonheur japonais, se cache le récit passionnant et émouvant des années 1944 et 1945 vues par un petit parisien de treize – quatorze ans. Cependant le pacte autobiographique est légèrement décalé : quand François Maspero publie ses souvenirs au bout de quarante ans, il ne dit pas : « je » et il se nomme Luc Ponte-Serra ce qui évoque les aïeux italiens du côté paternel. Antoine, son frère aîné, et lui sont très complices. Antoine l'a baptisé le Chat. Le sourire ne venant qu'à la dernière phrase du livre, vous devrez lire jusqu'au bout ce livre formidable pour savoir pourquoi.
Pour s'en tenir à la branche paternelle, le Chat descend d'une illustre famille avec un grand-père égyptologue, Gaston, et un père sinologue, Henri. La grand-mère habite au-dessus de l'appartement où le Chat vit avec son frère et ses parents quand la guerre éclate. La famille passe en zone libre pour s'installer sur la Côte-d'Azur, puis revint à Paris une fois sabordée la flotte de Toulon, épisode qui, selon le Chat vaut le déshonneur pour un marin de la famille. Au début de 1944, les deux adolescents sont expédiés dans une ferme de la vallée de Chevreuse. Loin du lycée parisien, le Chat continue de faire du latin et du grec avec le curé du village. Il aide au travail des champs. Il côtoie des réfugiés du Nord tandis que des soldats allemands occupent une partie de la vaste demeure. Habile, le Chat court sur les toits. Non loin de là, les aérodromes allemands tout proches sont régulièrement bombardés. Le drame s'approche.
Le Chat et son frère rêvent de Résistance ; ils volent des tickets de rationnement dans une mairie. Antoine, fier d'un pistolet espagnol, s'engage dans l'action avec les communistes, puis disparaît après avoir abattu un officier allemand. La Gestapo arrive au village : le Chat et sa mère sont emmenés le 24 juillet. Les parents, complices de "terrorisme" et engagés dans la Résistance, sont déportés, le 15 août 1944, par l'un des tout derniers convois quittant Paris pour le Reich alors que les Alliés sont sur le point d'entrer dans une capitale qui se soulève. Se retrouvant seul, le Chat est hébergé par la grand-mère et plus souvent par une tante, et comme l'oncle dirige un établissement psychiatrique dans une lointaine banlieue, le Chat retrouve la campagne avec ses cousins le temps des vacances. En se repliant, les troupes allemandes ont abandonné des munitions. Le Chat et ses cousins trouvent le moyen de récupérer la poudre pour faire des blagues à l'oncle distrait.
Ce livre est vraiment riche de portraits de personnages en plus de multiplier les petits faits vrais sur l'époque. Il passe de la culture littéraire et musicale qui baigne toute la famille aux plus matérielles préoccupations alimentaires.
Comme on l'imagine, le Chat est très perturbé par la déportation de ses parents ; la tante prétend que Ravensbruck et Buchenwald sont de « bons camps » et que les détenus y sont bien traités ! Le Chat n'y croit qu'à moitié... Il s'enfuit pour aller à la recherche de son frère aîné qui semble avoir rejoint l'armée américaine. Cela donne un épisode d'aventures militaires assez extravagantes, parfois même comiques. Recueilli par des soldats américains, voilà le Chat à bord d'une jeep, en route pour le front ! Le retour est amer : il faut reprendre la classe et espérer le retour des déportés et du frère combattant. « Ma Spero » — mais j'espère — avait fait graver le grand-père égyptologue sur sa tombe : Le Chat aussi attend et espère... Mais aucun courrier heureux ne vient. Le frère a été tué en septembre 1944 près de Metz. Le père du Chat est mort à Buchenwald en mars 1945 alors que peu à peu reviennent des déportés et des prisonniers et que le Chat comme les autres Français découvrent la réalité de l'univers concentrationnaire.
Bien que Le sourire du chat ne soit pas écrit à la première personne, il fait de ces éléments d'autobiographie un véritable roman d'apprentissage. Face à ces drames le Chat devient un adulte avant l'heure. Il a rejoint le front avec des troupes françaises et américaines, fréquenté des soldats de retour des combats et appris avec eux des chansons paillardes, rencontré une fille des rues, connu une première cuite dans un bistrot populaire du quartier des Halles, loin des salons mondains de sa classe sociale. Pour lui comme pour les combattants victorieux, que faire désormais de sa vie ?
• François Maspero. Le sourire du chat. Folio, 1985. 314 pages.
 
 
Tag(s) : #LITTERATURE FRANÇAISE
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