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Romancier malien, Ousmane Diarra retrace l’invasion de son pays par les islamistes. Un peintre et sculpteur renommé voit son atelier détruit, sa femme et ses deux fillettes endoctrinées par les imams, son fils aîné, Zabani Zabata, engagé dans les rangs djihadistes. Lui-même est torturé mais soigné par l’imposteur autoproclamé Calife afin de faire pression sur son jeune fils et l’amener aux plus hauts échelons militaires du djihad… Mais le trompeur sera trompé, les deux fils du peintre ayant infiltré les rangs des fanatiques pour mieux les vaincre. En prenant pour narrateur un garçonnet contraint de devenir soldat pour sauver sa famille, l’auteur peut dévoiler les stratégies des islamistes, fondées sur la terreur et les exactions. Tout y est mensonge et mise en scène, depuis les prêches des « gamins imams » légitimant la violence au nom d’Allah, jusqu’aux pickups flambants neufs acquis grâce au pillage des banques. En réalité seules la soif du pouvoir et l’ivresse de la puissance motivent les chefs. La force de ce roman tient à la personnalité du père du narrateur, incarnation de la résistance aux djihadistes. Non pratiquant, il défend sa liberté de pensée et sa dignité d’homme.

 

Le chef des envahisseurs, c’est « le faux grand Calife » Mabu Mafa, surnommé Fieffé Ranson Almorbidonne, ancien camarade de lycée du peintre, cancre, déjà à l’époque délinquant et dealer. Sous ses ordres se massent des gamins des rues promus imams, et des gosses en guenilles pas plus hauts que leur kalach : les Morbidonnes. Ces enfants soldats subissent une formation à coups de jeûnes et de privations, « bourrés de stupéfiants et de foi ». « Saoulé de coke et de sang », l’enfant en grandissant n’est pas dupe et sait qu’ils « n’ont plus de coeur ». Devenus des machines à tuer : « On nous enseigne l’art de la haine de la vie, de donner et recevoir la mort au nom d’Allah ».

De son côté le Calife, manipulateur charismatique, reconnaît « faire croire aux autres des choses auxquelles on ne croit pas soi-même ». En fait, « le djihad c’est utiliser les imbéciles pour enrichir les malins ». Incapable de réciter un verset du Coran, Mabu Mafa ne refuse en privé ni l’alcool ni les bijoux… condamnés par l’islam. Le garçonnet prend du galon et devient le confident de cet imposteur qui l’oblige à des attouchements sexuels. Mais il grandit, apprend lui aussi à jouer le jeu et perd toute forme d’innocence.

Toutefois ses réflexions surprennent de la part d’un enfant d’une dizaine d’années. On comprend qu’Ousmane Diarra fait du fils et du père ses porte-paroles, en particulier dans l’image qu’il donne des maliens, ces « petit riens d’Afrique taillables et corvéables », hantés de superstitions héritées des griots. La « mélasse des gamins imams » plombe leurs « têtes de nègres » dont « la conscience est gravement affectée par l’ignorance, la mère des violences ».

Ce père, jamais prénommé puisque c’est son « papa », a étudié dans les écoles d’art en Occident et pour lui « la pire des défaites c’est celle de l’esprit » et « la pire colonisation celle qui se fait par la conscience ». Même s’il endure des souffrances physiques, sa force mentale l’aide à demeurer libre. Symbole de la lutte contre le fanatisme, « nationaliste fieffé » qui refuse de s ‘exiler, il use volontiers de l’ironie et de la provocation, tel ce tableau représentant un vieux cochon qu’il suspend à l’entrée de sa maison…

« Choisis par toi-même la vie que tu veux vivre » conseille-t-il à son fils. Peu à peu, à travers de terribles épreuves, le garçonnet comprend la sagesse paternelle. Il ne lui reste plus, « pour avancer vite dans la vie », qu’à abandonner son patronyme et ses huit prénoms, tels la peau de sa mue en jeune homme. Ousmane Diarra éclaire les raisons du succès des islamistes auprès des maliens, « pauvres blacksnègres …vissés au bled-continent », proies faciles pour les fanatiques. L’auteur convainc que la seule résistance possible tient à l’instruction et à l’ouverture de l’esprit au monde.

 

• Ousmane Diarra. La route des clameurs. Gallimard, Continents noirs, 2014, 171 pages. 

 

Chroniqué par Kate

 

Tag(s) : #LITTERATURE FRANÇAISE, #AFRIQUE
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